Chapitre 9 -- Ciseaux pour cheveux

Par Capella

Une main s’extirpa du rideau de cheveux qui lui couvrait le visage. Ses yeux dirigés vers Ambre Feudiver, le géant qui logeait les égouts ouvrit grand la paume pour se saisir de lui. Le jeune homme demeura jambes arquées, bras écartés, attendant le moment où le bras serait trop proche ; lequel était lent, de quoi imaginer mille portes de sorties qui ne le mettait pas trop mal à l’aise physiquement.

Bon, juste un saut de côté, quoi.

Il n’eut pas la force de se soutirer un rictus ironique pour se rassurer, préférant fixer la main avec attention.

De lent, le membre fit une accélération subite, obligeant ce saut de côté à se faire prématurément, et avec une descente d’organe en cadeau. Haletant, il oublia de se lever tout de suite ; seulement lorsque la main revint à lui, le forçant à se dresser pour s’échapper au pas de course. Il se jeta en avant en sentant le membre survenir, mais il se figea douloureusement en cours de chute.

Il comprit l’origine de sa souffrance au moment où il essaya de tourner sa tête de côté, et que la chose fut vaine, voire pire encore pour l’arrière de son crâne. La partie incriminée était une touffe de ses cheveux saisie entre les mains du grand buveur d’eau.

Je coupe ? J’arrache ?

De panique, il força, en tout cas. Peut-être grâce à l’eau, peut-être grâce à la force moins impérieuse qu’il aurait envisagée pour son bourreau, restait qu’il parvint à se glisser hors de sa paume et reprit sa course.

Il se tourna vers le buveur quand il grommela quelques propos intelligibles dans sa langue singulière, ramenant sa main à lui. Ambre s’arrêta aussitôt. Les tentatives de le capturer étaient mises en pause, mais ce ne fut pas pour autant qu’il eût le courage d’en profiter pour chercher une porte de sortie. Il était loin d’être le guerrier héroïque qui pourrait se tenir à rang égal avec Trevor, ou dame Manonthine. En un regard de côté, et…

Il secoua la tête, tremblant jusqu’aux os au point de sans doute pouvoir en entendre quelques mélodieux claquements, avec un peu de silence. Parler de mort était un sujet réservé pour l’instant où il serait en mesure d’en rire à gorge déployée. Cette situation n’était pas encore assez reculée pour figurer dans ses recueils de blague.

Garder concentration sur le grand sans-corps, bien lui en prit, car il le vit porter une main à sa chevelure pour en extirper l’immense pan hors de l’eau. Lentement, il débobina ses longues mèches jusqu’à ce qu’un terme fût visible. Lorsqu’il entreprit un mouvement circulaire pour faire tourner les cheveux autour de son poignet à la façon d’un lasso, Ambre en fut quitte pour demeurer interdit.

Comment j’évite ça, au juste ?

De fait, lapin au milieu des deux iris rutilants d’un loup ; il n’évita pas. La chevelure cingla son corps aussi bien qu’un buffle mécanique lancé à pleine course pour l’envoyer valser contre l’un des murs de la salle qui accueillit son dos d’un bruit sourd. Pas tant de douleur que ça, de prime abord, simplement l’impression de s’être vu changer en armature d’argent, tant il était lourd.

Quand il se leva, ce fut pour retomber sur les genoux. Secouant le vent, l’autre préparait déjà son fouet pour un nouveau lancé. Ambre prit une profonde inspiration, et quand la chevelure vint, il tendit vers l’avant son bâton.

Le choc transvasa de tous ses bras, non sans le faire reculer en prime pour accuser le coup, après quoi la mèche tomba mollement sur le sol. Le garçon regarda passivement ses bras en les bougeant avec douceur. Rien de cassé, juste beaucoup de douleur, cette fois.

Si je pouvais survivre sans changer mes vaisseaux sanguins en écoulement d’aiguille, ce serait quand même un plus non négligeable, je crois bien. Il eut un rire. Faible.

Le sans-corps ne menaçait pas de le prendre en pitié. Doucement, les cheveux revenaient glisser jusqu’aux mains de leur détenteur qui y ajusta une meilleure prise.

« P’pa… Attends juste… Deux secondes… C’pas bien c’que tu fais… Il est important… Ce gars… »

Ambre se tourna vers la voix qui lui était apparue avec brusquerie. L’un de ces buveurs d’eau marchait à pas lents, saccadés, claudicants, en sa direction. Il était encore loin, ce qui lui laissait encore un peu de temps avant de devenir une menace. Mais outre le fait qu’il était au moins de taille normale, comme les précédents, il s’était surtout exprimé.

« Ahhh… ‘l’écoute pas… Comme d’hab… »

De fait, le grand buveur commençait à faire tourner son fouet. Ambre se remit en position défensive, espérant ne pas perdre de bras dans le processus, mais il perdit toute force quand son cou se fit enserrer par une corde capillaire venue du côté.

Le garçon se débâtit comme un beau diable tandis qu’il se faisait traîner sur le sol humide des lieux. Le fouet du géant claqua dans le vide, sa cible s’enfuyant en glissant sur le dos, mais le problème était désormais devenu sa respiration coupée et ses membres qui remuaient avec horreur. Il avait simplement troqué une façon de mourir pour une autre.

Arrivé aux pieds du parlant, la strangulation cessa, et son présumé bourreau vint se tenir entre le géant et lui.

« C’est bon… Ça suffit… »

Et cette fois, il fut écouté, car les bras de tous restèrent le long du corps, l’animosité pour le moment mise en sursis.

« C’est un filaire à charbon, les autres me l’ont dit… Ça sert à rien de le boire, lui… Il a pas d’eau… En plus, son bâton… Bon, attends… »

Il se tourna vers Ambre et d’un geste veule de la main, l’enjoignit à se lever. L’intéressé obéit, mais tituba, et l’autre dut l’attraper pour l’empêcher de s’écrouler par terre. Il le guida alors vers la sortie, tout en s’exprimant envers le géant des gloussements propres à son espèce, empêchant désormais Ambre d’en comprendre les tenants et aboutissants. Il ne retint qu’une chose : aucun prédateur ne cherchait à le prendre en chasse dans le couloir qu’ils empruntèrent. Cet énergumène pourrait bien l’avoir insulté dans sa langue, il n’en prendrait pas moins l’apparence d’un sauveur, désormais.

« Désolé… Il comprend un peu votre langage, lui… Mais forcément, je préfère parler du nôtre… Mais c’est bon… En gros… Tu cherches une sortie… ?

— L… L’ouest…

— Ah… On va vers le nord… Mais t’es tellement à l’ouest que c’est peut-être bon signe… J’sais pas… »

Ambre tenta de se redresser et de reprendre un peu de vigueur, mais déplier son dos diffusa quelques salves de coup de poings dans ses organes. Mission annulée, somme toute. Sa respiration de buffle résonna dans les murs de la belle tuyauterie. Cette fois-ci, ça ne le dérangeait plus tant que cela, que d’entendre ses pieds faire sploutch sur la masse du grand géant.

« C’était quoi… Ça ? demanda-t-il avec un hoquet de douleur.

— Ça… Tu parles de papa… Bah voilà, du coup… Désolé s’il est un peu du genre aigri… »

Ambre mâcha ces mots en promenant son regard autant sur l’eau, que sur les cheveux puis le visage de son interlocuteur. Il finit par acquiescer, les pupilles dilatées.

« Et donc… T’es un buveur d’eau ? Enfin, c’est comme ça que j’ai décidé de vous appeler, mais, j’veux dire, tu fais partie de cette espèce qui traîne dans les égouts ?

— Ouais…

— J’avais jamais entendu parler de vous. Enfin. Si. Des monstres rôdent, mais c’est tout. Personne n’a jamais fait de tableau précis. Je m’attendais à pas à… ça. Si vous vous cachiez pas autant, peut-être qu’on n’aurait pas autant peur de vous… Même si votre père, bon…

— Voilà… »

Il ne développa pas plus. Du moins, pas tout de suite. D’abord, il se contenta de faire quelques pas avec Ambre sous le bras, tournant quelques angles. Le garçon avait le nez trop bouché de morve et de sang pour se faire un véritable avis, mais son camarade du jour n’avait pas l’odeur la plus gracieuse qu’il lui avait été donné de sentir. À l’avenant du lieu de vie, tout simplement.

Qu’il fut en mesure de se plaindre de cela en cette situation, ça lui tira un froncement de sourcil révolté.

« On se cache… Au moindre signe… Mais si quelqu’un est déjà là… Faut le tuer… Forcément… Et boire son eau… S’il en a… La plupart savent que non… Pour ça qu’ils m’ont dit que je devais te tuer et te jeter…

— A-Ah ! Je vois… Et, heum… Du coup, pourquoi je suis encore en vie ? Nan parce que si personne n’a jamais pu parler de vous, c’est que… Voilà.

— Ce sont les cornes de l’eau… » Il pointa le bâton d’Ambre en disant. Humidifiées par les éclaboussures, les ramures brillaient maintenant d’un brun coloré à défaut d’être illuminé d’émeraude. De fait, il se rendit compte qu’il errait sans lumière, mais il n’eut pas la force de les allumer, éreinté qu’il était. « Elles ne sont pas très puissantes… Ce ne sont pas les cornes de l’eau complètes… Mais un peu… »

Ambre demeura interdit, considérant sa petite canne avec circonspection. Il aurait bien aimé rire avec dédain et demander à ce garçon ce qu’il racontait, mais le parallèle était trop évident à faire pour qu’il parvînt à faire preuve de déni. Ces créatures connaissaient l’Église, sinon simplement le concept que représentait Amaryllis.

« Il faut être gentil avec les cornes de l’eau… Sinon… Tout meurt… Il faut être gentil avec toi… C’est ce que j’ai dit à p’pa… Il a compris vite…

— Tu connais ces ramures d’où ?

— Heum… J’sais pas… Tout le monde les connaît… »

Pas une réponse particulièrement engageante, mais intrigante, cela, il devait bien le dire. Il venait de demander à un poisson pourquoi l’eau était bleue ; à un filaire pourquoi ils refroidissaient leur circuit en crachant de l’air. Des questions qui ne demandaient pas de réponses pour ceux qui n’en cherchaient pas. Une réponse vague qui en disait ainsi très long.

Si Amaryllis est encore connu parmi les populations isolées, il va m’être très pratique…

« C’est Slyfa qui la deviné… Il a vu les cornes et s’est posé des questions… Ortfa voulait te manger quand même… Il n’y croyait pas… Heureusement que Madset était là pour l’arrêter… Heureusement… Ortfa est toujours si difficile à tenir…

— D’accord, oui. Je vois. Je vois ! Et… Comment ça se fait que tu parles, toi ?

— P’pa a choisi quelqu’un pour aller là où les filaires travaillent… Parfois… J’ai appris en écoutant…

— Plutôt bien, je dois dire… Tous les autres sont donc dotés de conscience… Je commence à comprendre un peu mieux tout ce… bordel.

— Les cornes seraient fâchées…? Fallait pas lui faire de mal… Les autres sont trop bêtes…

— Non, ça ira. Les cornes ne seront pas fâchées. »

Ambre se libéra de l’assistance du buveur d’eau pour faire quelques pas vifs. Il accusa la douleur d’une immonde grimace, mais à la fin, se tint devant son interlocuteur – non sans la grimace.

« Mais si vous voulez être sûr qu’Ama… les cornes ne soient pas mécontentes, je peux toujours vous demander deux choses ou deux.

— Ouais…

— Vous avez un objectif particulier ? Un but à atteindre ?

— Boire de l’eau…

— D’accord, bon, tournons-le autrement. D’abord la proposition, ensuite le rendu. Vous pourriez m’aider à régler mes affaires ? Si je vous demandais, un jour, de me porter assistance. Eh, pour le moment, on s’en fiche de savoir quoi. » Il agita son bras en disant. « Non, juste, votre peuple pourrait être coopératif ? »

Le sans-corps parut réfléchir un instant, regardant mollement l’eau sur laquelle ils faisaient claquer leurs chaussures – lui, ses pieds nus, à demi immergés. Il avança, passant à côté d’Ambre pour le dépasser et poursuivre sa marche.

« Je leur demanderai… Mais c’est possible… Ils ne sont pas durs à convaincre… P’pa un peu plus… On aura forcément besoin de lui…? Pas forcément… Il donnera surement son accord… Mais il bougera pas… Ça suffit peut-être… On est beaucoup… »

Chaque mot s’était fait avec un haussement d’épaules ; parfois manifeste, d’autres moments plus infimes. À défaut de sa communication corporelle, ses propos avaient été agréables à entendre, dans leur ensemble. Ambre vint tenter de le rattraper, bien que cela lui causa de nouvelles douleurs abominables et leur content de gémissement.

« La sortie est par là-bas… Essaie de te repérer par l’oreille… Elle est proche des machineries… Je te laisse ici… Mieux vaut… Ne reviens pas… Mieux vaut aussi… Sauf si t’as besoin de moi un jour…

— Accompagne-moi ! Je risque de me perdre, et j’ai tellement mal… Au moindre danger, je suis mort », argua-t-il, inquiet de voir son sauveur s’arrêter.

Ce dernier porta une lente main à ses cheveux pour les gratter. « J’ai pas trop le droit…

— C’est toi qui as le rôle de t’approcher le plus des autres, non ? Bah voilà, tu pourrais m’aider, non ? Je t’en prie, tu connais les égouts, j’ai peur de prendre un mauvais chemin et me faire frapper… Mais toi… Les… Les cornes de l’eau seront fâchées, autrement !

— Ah… Ah. Alors dans ce cas… »

Le buveur d’eau poursuivit sa marche, Ambre venant le suivre avec un soulagement, une main au cœur et un soupir léger. Comme il n’avait pas fait semblant en se perdant dans les égouts, il ne regretta pas non plus d’avoir poussé l’autre à suivre pour le guider à l’air libre, car les nombreux angles le mirent mal à l’aise. Comme il l’avait dit, suivre les machineries était un jeu d’enfant, mais dans son état, Ambre avait préféré s’octroyer le guide, pour rien, peut-être, en vint-il à conclure, mais avoir une autre âme à ses côtés l’effrayait moins.

« C’est bruyant, s’exclama Ambre, une main sur l’oreille.

— Ne fais pas de bruits… Je dois être discret… Si on t’entend… Moi aussi… »

Les machineries faisaient un boucan formidable, de l’autre côté de leur passage. C’était surtout le bruit grondant et soutenu des moteurs qui vibraient, qui le tiraillait. Pas si fort que ça, au demeurant, mais son crâne n’était pas en état d’en supporter moins.

« Ouais… Mais j’ai mal à la tête avec tout ça », argua-t-il de fait à son guide.

Ce dernier pointa un couloir, au bout de quelques secondes de marches ; quand enfin une immense machine de cuivre se présenta à eux. Ambre la fit claquer en frappant le dos de sa main pour en tester la résonance.

« C’est pas dangereux de rester à côté ?

— Plein de sécurité partout… Va par là-bas… C’est plus très loin… »

Un frisson de sueur lui glissant le long du dos, il révéla son bâton. « Le bois de l’eau veut que tu viennes jusqu’au bout… Je suis son apôtre.

— Ah… »

Il poursuivit sa marche, Ambre le talonnant de prêt. Si un buveur venait lui bondir à la gorge, ou que ce cher père de plusieurs mètres de haut venait réclamer vengeance, ce ne serait pas celui-là qui s’en mordrait les doigts, donc il n’avait pas à se plaindre.

Bon, j’aimerais surtout qu’ils voient venir des habitants de l’est avant moi, que je me fasse pas chopper… J’ai eu assez mal pour aujourd’hui… Définitivement…

Ce fut sous ces pensées angoissées qu’il fut soudain pris d’un soubresaut lorsque toute lumière quitta son champ de vision. Croyant un instant être devenu aveugle, entendre les gémissements inquiets du buveur s’accompagner de clapotis sur l’eau lui fit comprendre que la raison était autre. Espérait-il. Non. Devait-il l’espérer, au demeurant ?

La respiration pantelante, Ambre découvrit une lueur s’imposer peu à peu sous la forme d’une lanterne, laquelle accueillait un insecte métallique à l’abdomen coloré de mauve.

« On est vu… »

Le buveur porta une main à ses cheveux tandis qu’un bruit de course venait faire détonner les flaques. Une fois assez proche, la tête du buveur s’envola en efflorescence céruléenne pour venir éclabousser plus loin. Ambre suivit la tête volante disparaître là où la lanterne n’imposait plus son regard sans trop comprendre ; encore qu’il l’oubliât aussitôt que la lame qui avait servi à le décapiter le désigna cette fois, son tour étant venu. Tombant sur les fesses, il considéra le bourreau, visage blême. Ce dernier fronça les sourcils.

« Eh, c’est pas un de ces monstres.

— Nan, c’pote d’la princesse, cracha un autre. D’l’église. Fait quoi ici ? »

Ambre eut du mal à avaler sa salive, pas moins à répondre à la question posée d’un ton bourru.

« Je… Cherchais… Sortie… Et…

— Et t’es tombé sur l’un de ces monstres, dit ? Pas d’pot. C’est quoi c’truc. »

Ils approchèrent tous deux du buveur et commentèrent à voix haute ses particularités physiques qui rappelaient moins la créature de cauchemar que le filaire.

Ambre fit un pas en arrière, un deuxième, et pivotant de côté, il s’en alla en courant.

« Hé ! Pourquoi y part lui ?

— Bah, laisse, vaut mieux qu’y s’mette en sécurité. Si y a un d’ces trucs, n’a p’t’être deux. L’gosse doit pas aimer leur gueule non plus, va. »

Chaque pas lui arrachait une plainte et une envie de pleurer. Sans doute fut-ce ainsi la douleur qui l’empêcha de penser à toute la bêtise de son acte.

À la place, il poursuivit sa route jusqu’à trouver l’escalier érodé qui le mena jusqu’à une écoutille au-dessus de sa tête. Il pleura bel et bien quelques larmes d’efforts et de chagrin quand il remarqua que la manivelle était coincée. Après avoir fui des buveurs, survécu à un géant et été épargné par les travailleurs qui auraient très bien pu comprendre qui il était après l’avoir éliminé seulement, il n’eut pas le courage d’abandonner. Prenant cette dernière épreuve avec la colère du désespoir, il vint à bout de la résistance, et la manivelle tourbillonna à ses gestes jusqu’à se dévisser. De là s’ouvrit la trappe.

L’air frais de Point-du-Soir lui cingla les narines avec autant de violence que ce géant avec ses cheveux. Il s’était presque habitué à l’odeur des égouts, et le changement brusque s’accompagna d’autant de malaise que d’extase d’un air purifié et à l’odeur… simplement normale.

Il s’extirpa de la trappe, tombant à genoux, ses poumons tournant comme des ventilateurs.

Mon corps est un brasier. Peut-être que je suis devenu un filaire à eau à cause du voyage, et que le charbon que j’ai mangé est en train de me faire dissoudre les boyaux…

Peut-être. Restait qu’il se leva, aussi charbon ardent qu’il fût. Dormir – pour ne pas être trop pessimiste sur son sort – ici et maintenant, ce ne serait pas la moins belle façon de gâcher son odyssée d’une heure.

Attend, c’est la guerre, se souvint-il en marchant à l’aide de son bâton – il regrettait de ne pas être pape, lequel possédait une canne de plus de deux mètres, bien assez longue pour s’y soutenir. Chaque fait sera concilié dans un livre d’Histoire pour les générations futures. La première guerre civile de Stèlebrune depuis des milliers d’années. Toutes mes aventures annexes seront peut-être détaillées en anecdotes. Il faudra que je les raconte à Mika, sinon, elles vont juste se perdre dans les limbes de l’oubli à ma mort…

Il poussa un rire jaune, une main sur le visage, tandis qu’avec sa nuque délestée de tête, le souvenir du buveur tentait progressivement de s’effacer de sa boîte crânienne. Tentait, seulement. Cela ne le retint pas de marcher sur le terrain rocheux de Point-du-Soir, en direction de l’immense bâtisse en forme de cuve qui trônait au loin.

Tellement loin…

Ses pensées – leur absence, leur vide – firent toutefois passer le chemin plus vite. Son corps n’eut pas l’heur de guérir en cours de marche, mais au moins, lorsqu’il put s’écrouler après avoir réclamé un sirop de charbon d’urgence, il était dans un train, et l’on y avait fait monter sans interrogations, à ceci près qu’on s’étonna de son état.

Mais un cocktail dans la main, des morceaux de charbon durs dans l’autre, il était en fait en première loge pour souffler quelque chose d’autre qu’un air d’effort.

Mélinoé s’était arrangé pour que ses mésaventures ne laissassent pas le temps au seigneur d’envoyer ses troupes fondre à sa rencontre ; probablement qu’il n’avait en fait jamais été appelé dans la grande salle en premier lieu…

À ce compte-là, j’aurais tout aussi bien fait de rester avec Méli en tant que prisonnier, se dit-il à la pensée de la fille. J’étais mieux traité par les Corail que par l’univers.

Sous l’aquarium des terres Inespérées de l’est, la chaleur était parfois insoutenable ; parfaite pour lui tirer des sourires d’aise, mouillé qu’il était. À mesure que la température baissa au fil des heures, il avait au moins eu le temps de sécher, en conséquence de quoi, pour une fois, il ne trouva pas l’occasion de se plaindre jusqu’à la gare de l’Alvéole de fer.

Et évidemment, le trajet est loin d’être fini… Il eut un soupir rauque.

Arrivé au nord-est, il devait se rendre au sud-est pour quitter la cité qu’il venait d’intégrer. De là, direction les Jardins des araignées, jouxtant la capitale. Ses jambes n’auraient pas assumé davantage malgré le long repos en train, alors il remerciait l’Arbre du Chasseur, c’était là sa dernière destination.

Escorté par un soldat, eu égard par son titre de membre de l’Église, il traversa les sentiers du jardin avec une admiration éteinte par l’habitude. La végétation luxuriante, verte d’émeraude et de péridot. Les arbres par centaine d’espèces, aux feuilles claires ou foncées, mais aucun pour être réellement végétal. Les insectes et petits animaux mécaniques qui faisaient vibrer leurs ailes ou leurs jointures. Les temples, fontaines et stèles en l’honneur des sans-corps. Tout ça faisait partie du décor quotidien lorsqu’on le vivait dans cette bâtisse qui dépassait au loin ; cette humble structure gothique penchée marquée de vitraux écarlates.

« Monsieur Feudiver, l’invita le soldat d’un geste de main, terminant sa route ici.

— Merci, grogna Ambre qui accusait encore sa fatigue.

— Votre arbre a bien poussé ! »

Il n’eut même pas la force d’une réponse de politesse. Rien qu’arc de cercle avec ses yeux et un silence pour continuer sa route. Chemin faisant à travers l’une des roseraies des jardins de l’église, il fut contre son gré attiré par la source du commentaire du soldat ; l’arbre immense aux feuilles d’automne qui s’échappait de quelques fenêtres, du toit, d’un pan de mur de la bâtisse au point d’en devenir la cause de sa légère inclinaison.

Oui, voir l’Arbre du Chasseur lui fit se sentir de retour à la maison. Pas encore le moment de s’écrouler, ceci étant. Le lit était encore à quelques pas d’ici.

« Ambre ! Tu fais quoi ici !? »

Tout en haut des marches lui apparut Mika qui descendit l’escalier pour le rejoindre à toute vitesse en agitation de boucles noires. S’arrêtant à quelques marches, il en profita pour demeurer à même taille que le garçon qui rentrait de sa joyeuse balade. Voilà un visage plus apaisant encore à voir, au bout du compte.

« Ah ? Je suis rentré. J’en parlerai au pape. Tu pourras toujours être là, si tu veux. Je suis mooort, là, tu pourrais pas aller me l’amener rapidement, par pitié…

— Ouais ! » fit-il, le côté de sa main sur la tempe.

Il remonta les marches en courant, regagnant l’entrée de l’église qu’Ambre gagna à son tour lorsqu’il en eut terminé avec son ascension. De fait, son état ne fut pas caché du pape qui se tordit de stupéfaction en le voyant.

« Que t’est-il arrivé ?!

— Des affaires sinistres…, minauda-t-il avec un visage tout de même las.

— Que tu me raconteras immédiatement. Suis-moi. » Il apostropha un membre qui passa non loin. « Amène Louanne dans ma chambre, s’il te plaît. »

L’endroit où il mena Ambre et Mika, qui suivit de toute façon sans qu’on l’invitât vraiment. Le premier prit place sur l’ottomane, s’allongeant de tout son long, là où le deuxième dut s’installer sur un fauteuil de velours, profitant de quelques biscuits posés sur la table basse devant lui. Ladite Louanne était assise genoux sur le sol, traitant les blessures qu’Ambre arboraient un peu partout sur le corps.

« Quelle aventure stupéfiante…, commenta le pape, appuyé sur son immense bâton de cuivre aux innombrables branches. Tu as fait une belle découverte concernant les sans-corps, certes, mais d’un autre côté, nous perdons tous nos alliés du côté des Terres Inespérées.

— Méli est une ennemie, abonda Ambre avec chagrin. Quel chaos…

— Je ne te le fais pas dire… »

Il ferma les yeux, trouvant agréable le toucher de Louanne contre ses maux. Sa douceur était parfaitement semblable à celle d’un nuage, et puisqu’elle n’était pas vraiment plus vieille que lui…

Se sentant partir – non pas sous terre pour rejoindre les âmes défuntes, mais en pensées irrévérencieuses –, il rouvrit bien vite ses paupières.

« Et de votre côté, Père, la situation se porte mieux ?

— De façon acceptable, je dirais. Les sans-corps, dame Katalysa comprise, n’ont aucun dégout à l’idée d’œuvrer avec nous.

— Sympa… Une bonne nouvelle, au moins, dans le lot. Le plan prévu, ce serait quoi ?

— Je leur en laisse le bon soin, à ce sujet-là, indiqua le pape d’un léger mouvement de bras. Il y a néanmoins déjà quelque chose que l’on peut faire de notre côté en attendant qu’ils nous réclament à l’Alvéole : rendre l’Église attractive.

— Oh ? Je pensais qu’on partait sur le mensonge. »

Le pape sourit et eut un hochement de tête ironique. Peut-être qu’Ambre n’aurait-il pas dû parler mensonge au principal intéressé. Mais que voulait-il ? Tant qu’ils restaient en vie, ce qu’on faisait de l’honneur et des valeurs, le pape devait bien comprendre qu’on s’en foutait allégrement. Son aventure l’avait peut-être rendue un peu aigri, il devait en convenir.

Non… Non. Impossible. Je l’étais déjà.

« Le mensonge sera une tâche compliquée, malheureusement. Depuis qu’on les soupçonne de ne plus être dieux, on relève chaque jour des points de détails qui font sens pour confirmer cette assertion. Et ta petite escapade avec créatures des égouts en ajoute une nouvelle autre. Nous allons, doucement, mais sûrement, changer la politique de notre Église, rendre notre croyance plus large, choisir un nouvel objet de culte qui nous rassemblera tous. Mais en prime… nous donnerons aux gens une raison de nous suivre, plus que pour partager une façon de penser. C’est ça, nous rendre attractifs.

— Effectivement, ça ne sonne plus très “pieux”, dis comme ça, s’amusa Ambre. Ceci dit, oui, j’ai l’idée. Et elle est bonne – de mon avis, en tout cas. Vous voulez que j’aide à ce propos ?

— Ta mission est plus importante. Rallier les sans-corps sauvages, vraiment, je ne trouve pas cela idiot. »

Mika vint abonder en ce sens avec un hochement de tête vigoureux à l’adresse du garçon. La bouche pleine de miettes de gâteaux, Ambre prit la peine de tendre un bras vers un torchon pour essuyer l’enfant. Il s’assura de ne pas déranger Louanne en s’étirant de côté.

« Dis, j’pourrais venir avec toi ?

— Toi ? T’as même pas encore fini d’étudier.

— Tu vas juste chercher des gens dehors et leur dire de nous rejoindre ! Ça va, non ? C’est pas dangereux ?

— Pas dangereux ? T’as écouté mon histoire ? Je suis fait projeter contre un mur par un fouet de cheveux ! Kiiii… Rien que d’y penser, ça me fait mal, grimaça-t-il.

— Mais ça c’est parce que t’étais pas là pour les rallier, argua le gosse.

— Ça change rien !!

— Ambre, calme-toi, lui intima Louanne en fronçant les sourcils. J’essaie de m’occuper de toi, là.

— Pardon ! » rougit-il en s’allongeant de nouveau.

Il regarda la femme du coin de l’œil, s’en voulant de s’être donné en spectacle devant elle. Désormais, elle allait surement le trouver immature, et toute chance de la séduire serait oblitérée comme un papier sous flamme…

De gêne, il préféra considérer Mika qui ne paraissait pas moins en colère que la femme. Cette réaction-là, Ambre en conçut en réponse un peu plus d’apaisement. Il tendit doucement son bras en l’air pour admirer ses doigts et ses ongles.

« Si je sais qu’une mission n’est pas dangereuse, Mika, alors je t’y emmène. C’est tout ce que je peux faire. Si tu es sérieux, si tu es efficace et que tu ne me gênes pas, tu m’assisteras de plus en plus. Tu voudras devenir mon partenaire, plus tard ? »

Les yeux du garçon s’illuminèrent des sept éclats de l’arc-en-ciel. Poings serrés, il abaissa sa tête de haut en bas avec son content de « Oui ! ». Ambre eut un sourire, qu’il perdit en entendant Louanne glousser à côté de lui. Elle le considérait désormais avec une expression au faîte de la tendresse. Ambre regagna ses couleurs perdues.

Les filles aiment bien les garçons tendres avec les enfants ? Je… Ouais ! Forcément ! J’ai regagné des points…

Rougissant autant de gêne que de bonheur, il se tourna vers le plafond avec joie.

Méli, elle s’en fout, non ? Chaque fois que je suis avec Mika, ça ne la touche pas. Elle n’est pas vraiment versée enfants… Ahh…

Il zyeuta une dernière fois Louanne, mais toute excitation venait de quitter son corps. Il soupira pour lui-même.

Méli m’a maudit… Pourquoi j’arrive pas à aimer quelqu’un d’autre… Elle m’a enchaîné à elle… Si c’est pas réciproque alors quoi, je saute d’un pont ? Quelle connerie… Enfin bon, « pas réciproque », même moi j’manque pas assez de confiance en moi pour y croire, hah !

« Mika, va me prendre ta guitare. C’est ton moyen de paiement pour pouvoir m’accompagner.

— Oui ! »

L’enfant se leva et quitta la pièce au pas de course. On l’entendit dévaler comme une furie à travers les couloirs. Le souffle d’Ambre se fit désabusé.

« Il a oublié de fermer la porte. Désolé, Père. »

L’intéressé refusa les excuses d’un geste de main tranquille. « Je comptais vous laisser seuls, de toute manière. Je vais terminer ce que j’ai à faire. Je n’aurais pas besoin de ma chambre tout de suite, Louanne, alors prends ton temps. » La jeune femme lui adressa un signe de tête entendu, alors il put dévier vers Ambre. « Tu viendras me raconter les détails de ton expédition une fois en meilleure forme. Je vais commencer, déjà, à te mettre sur papier la liste des sans-corps sauvages dont tu pourras t’occuper. En espérant qu’ils aient tous un membre aussi compréhensif que ce buveur d’eau parlant.

— Tant que je leur montre la lumière de mon sceptre… »

Il se brusqua sur le fauteuil en un soubresaut, obligeant Louanne à ramener ses mains à elle avec circonspection. Il s’excusa auprès d’elle d’un signe de main mais ne se rallongea pas pour autant.

« Je… me suis rappelé un truc… Seigneur Amaryllis, je dois vous demander quelque chose d’important. Vous m’y autorisez ? »

Les branches s’agitèrent au bout du bâton du pape.

« Eh bien… Toute faveur mérite paiement. »

Elles s’étirent, et un morceau vint jusqu’à la porte pour la fermer pour accompagner la voix grave et lascive.

« Tu viendras t’occuper de l’Arbre avec moi, un jour. Cela fait longtemps que je n’ai pas échanger avec toi. »

Les bois revinrent en son noyau, pour se tordre tant et plus, formant alors un visage allongé en trois branches, telles trois cornes sur un soleil couleur rubis. Deux fentes vinrent former des yeux vides de tout iris.

Ambre le considéra avec une grimace désenchantée.

« À. Votre. Guise.

— Alors le marché est conclu. Ton interrogation, boucles vivantes ? »

Il se passa une main dans lesdites boucles avec un soupir résigné. « Le buveur d’eau parlait de vous avec révérence. Vous êtes connus chez tous les sans-corps sauvages ? Ça ne m’étonne pas, mais comment ne vous auraient-ils pas oubliés comme tous les autres habitants de Stèlebrune ?

— Hum… » Il porta une main végétale à son visage, pointant légèrement sa face vers le plafond. « Je n’ai jamais réfléchi à savoir si j’étais réputé ou non, mais je fais après tout parti des rares sans-corps immortels. Les vrais qu’on peut qualifier de dieu », fit-il, de la mutinerie dans la voix. « Les habitants de Stèlebrune dont tu parles sont des exceptions ; ils ont oublié les croyances primitives pour en créer une plus sophistiquée : les dieux, ce ne sont plus les chasseurs insatiables, les assassins arachnéens ratés, les protecteurs de villages. Non, ce sont désormais ceux qui peuvent diriger, car ça arrange le plus grand monde. »

Ambre entrouvrit la bouche, son regard braqué sur l’arbre au bout d’un bâton. Le remarquant, Amaryllis finit par lui rendre l’œillade.

« Les vivants vous prenaient pour un fléau, fut un temps, abonda le garçon. Car ces sans-corps n’ont pas passé le cap de la modernité, vous leur êtes encore source de vénération… C’est là notre différence, donc ?

— Cela paraît plus que probable. À travers nuit je voyage, à l’appel des âmes…

— Pour une carcasse en pérégrination en consumer les feuilles, compléta Ambre. Oui, c’est probablement cela… Je vois. Eh ben, ça nous arrange. Bravo, seigneur Amaryllis, merci d’avoir été une existence si folle à lier par votre passé ! »

Le pape se prit d’un sourire, et les branches d’un rire tonitruant. Quand Mika ouvrit la porte, sa guitare dans la main, il referma sans parvenir à se détourner de son seigneur. Dans sa contemplation, il manqua de cogner l’un des nombreux tuyaux qui sortait de la cage de résonance de l’instrument contre le pape.

« B’jour, m’sieur Amaryllis ! s’exclama-t-il avec beaucoup d’accents de merveilles.

— B’jour, Mika, renvoya l’autre avant d’offrir derechef son attention à la figure de grand-frère. Était-ce là tout ce dont tu avais besoin ?

— Oui. Merci. Vous aurez votre aide de jardinerie quand mes jambes seront plus en état. Et mes bras, aussi. Et ma tête. Et mon ventre. Puis mes genoux. Mes pieds. Mon…

— Soit, j’ai compris. Je serai patient, jeune homme. Sur ce… »

Tout en regardant Mika revenir à son fauteuil, il ne put s’empêcher de lâcher un dernier commentaire avant le départ de la tête de cerf. « Franchement, entre les Trois guerrières, ce géant dans les égouts, vous et les autres Gardiens… Si vous n’aviez pas été si compliqué à vivre, vous auriez fait des figures parfaites pour jouer les dirigeants faux-dieux. Quel gâchis. »

Amaryllis eut un ricanement tandis qu’il perdit un peu de la fougue de ses branches aux angles fous à mesure qu’il reprenait forme plus discrète.

« Que je fus créé d’une main filaire ou non, votre perte ne me rendrait pas heureux outre mesure. Si un jour, il me faut jouer le rôle d’une divinité pour en remplacer une autre… Si un jour il vous faudrait, pour survivre, que je me révèle… Alors, je le ferai.

— Vous en êtes sûrs ?

— Les traîtres se font plus nombreux chaque jour, Ambre. Même parmi ceux qui me respectent profondément, il y aura des désertions. Un jour ou l’autre. » Le ton était sans appel, prémonitoire.

Ambre considéra Louanne qui s’était tournée vers le réseau végétal, une expression d’intense résolution plaquée sur le visage. Lui fut incapable d’exprimer aussi bien qu’elle sa loyauté. Tout ce qu’il put penser, c’était que si ce n’était pas Louanne qui les trahissait, ce seraient peut-être ses parents, peut-être d’autres membres éminents, d’autres combattants de l’église, d’autres nonnes, d’autres hommes de foi, sinon peut-être que les fidèles deviendraient même minoritaires.

« Quitte à me révéler, autant faire les choses dans les règles. Aucun ennemi, seulement des camarades. Ça ne m’amuse plus tant de chasser, alors je vais me contenter de mettre de côté très vite tous ceux qui nous poseraient problème, en échange de chansons, de racines et d’herbe fraîche, voilà tout. »

Ils observèrent, tous, un silence de circonstance. Il fut comblé par un dernier gloussement moqueur de la part de leur seigneur boisé.

« Bonne soirée à vous, petites âmes aux joues rouges. Que le tronc, jamais ne s’érode.

— Que les feuilles, jamais ne tombent », répétèrent machinalement les trois occupants de la pièce.

Et de là, Amaryllis reprit forme de ramures étriquées au bout d’un bâton de cuivre.

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