Chapitre I : Gaelyn (Première partie : Recherche féérique)

C'était le premier jour de l'automne, un automne gris et froid qui s'était abattu sur la ville de Lume. Comme souvent en ce temps-là, Gaelyn Hastin se trouvait dans une vieille alcôve de l'université où l'on avait tenté de répertorier sous la forme de reliques et de maquettes les projets avortés de transports aériens. Il faisait sombre dans la petite salle, et la plupart des objets entreposés apparaissaient comme des formes noires à l'aspect fantomatique, certaines hérissés d'antennes, d'autres simples formes massives. Gaelyn s'amusait à imaginer toutes sortes de choses en les regardant. Elle aimait bien venir ici, c'était reposant, il n'y avait jamais personne. C'était un endroit tellement reculé et à l'abandon qu'elle ne l'avait découvert qu'un an et demi après qu'elle soit arrivée dans le laboratoire. C'est son chef qui lui avait montré l'endroit, afin de la rassurer, de lui montrer que malgré tous les efforts possibles, beaucoup de projets de recherches n'aboutissaient pas. Pour lui c'était une façon de la remettre dans le droit chemin des objectifs qu'il comptait lui faire atteindre. Mais ça n'avait pas vraiment eu l'effet escompté. Au contraire, la jeune femme y vu une opportunité. Dans cette pièce poussiéreuse et mal éclairée, elle entrevit une lueur d'espoir. Personne n'avait réussi à faire un transport aérien, mais pourquoi pas elle ?

Pour cette raison, elle se sentait bien dans cette salle qui lui avait redonné espoir, donné un but qui la mènerait bien plus loin qu'elle ne l'imaginait en cet instant. Mais c'est bien là que débute son histoire car ce jour-là, elle fut dérangée dans sa méditation par quelqu'un qui s'approchait d'une démarche traînante.

Elle sourit.

Celui qui venait à elle était reconnaissable simplement à sa façon de marcher, mélange étrange de nonchalance qui lui faisait traîner les pieds et de nervosité qui le faisait avancer à une vitesse étonnante. Lorsqu'il ouvrit la porte sans faire de bruit elle ne fut donc pas étonnée de voir sa tête apparaître, furetant dans le noir à sa recherche.

— Bonjour Holmert, c'est moi que tu cherches ? lui dit-elle de sa voix grave.

Elle se leva du petit présentoir où elle s'était assise, à côté du très vieux tapis volant déchiqueté, que l'on avait enchaîné par habitude, et alla le rejoindre.

— Ah ! Gaelyn, je savais que je te trouverai ici ! répondit le jeune homme d'une voix enjouée.

— Qu'est-ce qui t'a amené jusqu'ici ?

Alors que Gaelyn atteignait la porte, il entra dans la pièce, bloquant pratiquement toute la lumière en provenance du couloir par sa carrure imposante. Il souriait comme toujours.

C'était l'archétype du bon collègue, le visage rond et honnête, le genre de personne qui connaît chaque chercheur par son prénom, ainsi que ceux de leurs conjoints, de leurs enfants, toujours souriant, toujours bavard. Il effectuait lui aussi des recherches pour une thèse, et c'était lui et un autre jeune chercheur qui avait tout de suite accueilli la jeune femme à la faculté, le second s'appelait :

— Traun..., répondit Holmert dans un soupir, il veut qu'on vienne le voir et il est tout excité.

Gaelyn sortit à la suite de Holmert qui ne put se retenir de rire en la voyant involontairement gonfler les joues à l'idée de voir quelque chose qui pouvait exciter Traun.

— Qu'est-ce que c'est cette fois ci ? lui demanda-t-elle d'un ton peu enjoué.

Gaelyn referma la porte de la petite salle, puis les deux doctorants commencèrent à remonter le couloir vers le bureau qu'ils partageaient avec Traun.

— Comment veux-tu que je le sache, tu sais comme il est... Il refuse de m'en dire plus si tu n'es pas là. Et je ne pouvais pas non plus attendre, car tant qu'il ne nous a rien dit, il m'empêche de travailler.

— Depuis quand tu travailles toi ? lui demanda-t-elle avec un demi-sourire.

— Moi ? répondit-il innocemment, mais je ne le fais pas, disons alors que Traun m'empêche de dormir...

— Et sans plaisanter, comment vont tes travaux ? Il y a un moment que tu ne m'en as rien dit.

Il prit une grande inspiration, ses yeux se perdant dans la contemplation du plafond avant de répondre.

— Plutôt bien jusque-là, les tests sont convaincants, bientôt nous devrions aller faire des essais au dôme de la martre...

— Le pont pour le gouffre de l'azurée ? Le fameux projet que tu pensais avorter la dernière fois ?

Holmert rit nerveusement.

— Celui-là même, dit-il avec une grande fierté, tu vois...

— Tu ne m'as pas dit que c'était prêt, le coupa-t-elle sèchement.

Il s'éloigna un peu de la jeune femme et leva les mains en signe d'innocence. Elle avait ce don, celui de sans le vouloir faire peur aux gens simplement en répondant un peu sèchement ou en fronçant les sourcils. Là elle avait fait les deux.

— Non, non, mais je voulais être sûr, j'ai eu une réponse hier soir, et je voulais, comme Traun, attendre de vous avoir tous les deux, plus peut être Jenna et Fadrel, pour l'annoncer ! Mais comme tu me l'as demandé, je n'ai pas pu me retenir.

Il parlait à toute vitesse, Gaelyn constata encore une fois qu'elle avait vraiment un don pour faire parler les gens. Ce qu'elle trouvait un peu vexant...

Elle soupira.

— Je suis heureuse pour toi alors..., lui répondit-elle sincèrement même si elle ne put s'empêcher de ressentir une griffe de jalousie lui égratigner le cœur.

Si son projet aboutissait, et c'était en bonne voie, le jeune doctorant aurait produit un important aménagement pour les voyages entre orient et occident.

— Et toi, lui demanda t-il alors que la jeune femme tentait de repousser la griffe douce-amère de sa poitrine. Comment vont tes bulles de savon ? Depuis que tu as déposé ta fameuse théorie, ça jase un peu. Je manque d'informations car tout le monde sait que l'on discute beaucoup, mais que tu travailles avec la musique, que tu sois allée voir les musiciens...

Gaelyn soupira, lasse d'entendre ce refrain, mais se força à ne pas froncer les sourcils.

— Oui je sais bien, mais si jamais ça marche, ils seront tous biens contents. Ils se plaignent car ils n'osent pas en faire autant, ils préfère rester dans leur zone de confort, mais ce n'est pas comme ça qu'on gagne une partie. Si je veux travailler avec la musique, c'est logique d'avancer mes pions en direction des musiciens, non ? Sans eux, je n'aurais pas pu déposer ma théorie de la musique plus légère que l'air permettant de générer un effet de portance suffisant pour compenser la masse d'objets et...

Holmert rit :

— Tout le monde dit « théorie Hastin » tu sais... C'est un peu plus court quand même.

Gaelyn se contenta de hausser les épaules et ils continuèrent leur chemin en silence, longeant un long couloir désert et poussiéreux, lambrissé de bois sombre. Ils descendirent deux étages avant de traverser le grand hall, une petite cour intérieure puis pénétrèrent dans le laboratoire proprement dit. Ils passèrent un garde, puis une porte nécessitant de résoudre un petit casse-tête pour rentrer. L'architecture labyrinthique, les couleurs vives, les jeux de lumières attestaient de leur arrivée dans la partie « féérique » des laboratoires de l'université.

Et c'est alors qu'Holmert et Gaelyn passaient devant la porte du laboratoire où leur ami Traun travaillait, que cela se produisit.

Ils avaient entendu le bourdonnement caractéristique de ses expériences, puis plus rien. Non pas seulement l'arrêt du bruit de l'expérience, non, plus de bruit du tout, nulle part, comme si les sons n'avaient jamais existé. Puis une fraction de seconde plus tard, tout s'était arrêté, Gaelyn et Holmert qui marchaient virent leurs mouvements se suspendre, leur cœur arrêter de battre, leur sang de circuler, leur cerveau de fonctionner. A l'extérieur de la salle de travail, un oiseau qui décollait de la fenêtre fut suspendu dans le ciel, le vent s'arrêta. Le mouvement était complètement effacé. Puis à peine un instant plus tard, tout revint dans l'ordre alors que l'étrange appareil de Traun éclatait sous la pression de son propre effet. Gaelyn trébucha, Holmert vacillait, hagard, l'oiseau au dehors faillit s'écraser au sol et les sons revinrent brutalement.

Pour une fois Traun Thannen avait obtenu un résultat, un résultat plus qu'inattendu...

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