Chapitre II. Bienvenue chez Dieu

— Vous êtes Espagnole ? demanda la directrice sans doute à cause du léger accent de ma mère.

— Italienne, répondit-elle. Par mon arrière grand-père.

— Je vois, dit-elle en se dirigeant vers l'entrée. Quelle est votre profession, madame Walsh ?

— Je suis ingénieur depuis près de quinze ans. Et j'étais directrice d'une académie de... Critters, dit-elle en nous regardant tandis que nous lui lancions des regards ébahis.

Quoi ? Elle ? Pourquoi ne nous l'a t-elle jamais dit ?

— Pour quelle raison avez-vous démissioné ?  demanda Maryse en levant un sourcil.

— J'ai eu d'autres priorités, répondit-elle du tac au tac, nous évitant du regard. 

Nous les avons suivies tandis qu'elle gravissaient les marches imposantes et entraient dans le manoir.

À l'intérieur, il faisait frais,  ce qui signifiait qu'ils avaient mis au point un sortilège pour le climatisation.

Et ça sentait la cire, le bois et une odeur de vieux livres comme dans une bibliothèque. Un vilain papier pain bordeaux recouvrait les murs, et la ligne de démarcation de la partie rajoutée composée de stuc demeurait invisible.

L'entrée débouchait sur un grand hall dominé par un escalier en spirale que rien ne soutenait. Derrière l'escalier, un vitrail commençant au premier étage s'élevait jusqu'au plafond. Le soleil de fin d'après-midi qui filmait à travers projetait des motifs géométriques colorés dans le hall. 

— Impressionnant n'est-ce pas ?  a dit madame Gold.

Le vitrail présentait un guerrier entre les portes dorées. D'une main il tenait une épée noire. De l'autre, il désignait un groupe de trois personnages pour leur faire signe de s'éloigner. Les trois personnages étaient également des guerriers et avaient tous l'air accablés. L'un d'entre eux, une créature rouge enfouissait même son visage entre ses mains. Ce qui semblait être une épaisse massue pendant à son cou. L'ange situé à gauche portait une couronne de feuilles et jetait un coup d'œil par-dessus son épaule. Celui du centre, - le plus grand - bombait le torse en regardant droit devant lui.

— C'est... surprenant, ai-je fini par répondre.

— Cette chose que Michel Ange aurait pu dessiner les yeux fermés ? répliqua Daryl.

Ma mère le foudroya du regard, ce à quoi il a répondu par un signe de la main.

Mme Gold a poursuivi.

— Les élèves peuvent avoir n'importe quel âge, dit-elle. Ceux qui ont entre treize et dix-huit ans sont repartis de côté là. Pour le reste,  c'est à l'ouest.

— Donc certains y peuvent y passer toute leur enfance ? m'enquis-je.

— C'est exact, pour la majorité. Mais il y'a des exceptions, comme vous deux.

— Quelle chance,  ai-je marmonné.

— Concernant vos quartiers, continua-t-elle. Ceux des garçons sont au deuxième étage, ceux des filles au premier. Malheureusement, vous allez devoir les partager avec un camarade, en espérant que vous ne soyez pas trop asociable.

— J'espère que tu arrives à voir plus de points positifs à ce déménagement, chuchotai-je à Daryl.

— Etre bisexuel ne veut pas dire être nymphomane, a-t-il répondu en roulant des yeux.

Ma mère a demandé :

— Les élèves sont-ils regroupés en fonction de leur... de leur...

— De leur spécificité ? a répondu Mme Gold. Non, bien sûr que non. L'un de nos principes fondamentaux est de leur enseigner à coexister ensemble.

Elle nous a entraînés à l'autre bout du hall. Là, trois fenêtres s'élevaient jusqu'au deuxième étage et donnaient sur une cour.

J'étais en train d'observer une fille qui s'exclafait en tenant un tube de rouge à lèvre à sa copine quand un courant d'air m'a traversé.

— C'est juste des particules spirituelles, ne vous inquiétez pas.

— Des... quoi ?

— Les terrestres appellent ça des fantômes.

— Niquel, a dit Daryl en scrutant les alentours.

— Alexander, Amberlynn ! a crié Mme Gold à deux personnes qui traversaient le hall.

Une adolescente aux cheveux bruns attachés en un chignon flou et un garçon brun plutôt grand se sont approchés de nous. La fille portait des grosses lunettes noires de Geek qui cachaient de gras yeux noisette et un rouge à lèvre rouge, mais, étrangement, je n'aurais jamais pu la qualifier d'intello, ou de coincée. Le garçon bruns dont les cheveux tendaient vers le noir avait les yeux verts et portait en revanche le sommet de sa chemise blanche ouverte et avançait avers nous les mains dans les poches.
La fille souriait. D'un sourire poli, néanmoins, car elle avait l'air de s'ennuyer.

— Daryl et Amélia Walsh, je vous présente Alexander Owens et Amberlynn Griffin, vos colocataires respectifs.

— On m'appelle Amber, a dit Amberlynn. Pour lui c'est plus Alex, a-t-elle ajouté en pointant le garçon du doigt.

—  Moi c'est Amy, répondis-je en souriant.

Mme Gold a prit un air pincé.

— Les enfants d'aujourd'hui sont vraiment étranges. On a beau leur donner des prénoms charmants, ils sont déterminés à les modifier dès la première occasion. Quoiqu'il en soit, Amberlynn et Alexander ne sont pas d'anciens élèves, ils nous ont rejoint l'année dernière.

Ma mère s'est illuminée et a serré leur mains respectives.

— Enchantée. Vous êtes... des futurs chasseurs, vous aussi ?

-Maman !  ai-je chuchoté.

Mais Amber a répliqué :

— Non, madame. Une sorcière. Alex est un loup-garou.

Ma mère s'est retournée vers mon frère.

— Tu vois qu'il n'y a pas qu'un seul loup-garou, l'a-t-elle taquiné.

Comme réponse, Daryl balaya sa remarque d'un geste de la main.

Après un silence embarrassant, ma mère a dit :

— Bien, demandez à...

Elle a regardé nos camarades de chambre d'un air perplexe.

— Alex et Amber, a répondu le garçon pour la première fois.

— C'est ça, a souri ma mère. Demandez-leur de vous accompagner à vos chambres. J'ai quelques questions à poser à la directrice, ensuite je viendrai vous dire au revoir, d'accord ?

Je les ai observé tandis qu'ils souriaient d'un air absent. J'ai changé ma besace d'épaule et je me suis penchée vers la malle. Daryl faisant de même.

— Non, tu n'es pas obligée de m'aider, ai-je protesté tandis qu'Amber saisissait l'autre poignée.

— Pas de problème. À défaut de ne pas avoir le droit d'utiliser mes pouvoirs pour la faire voler, je peux bien faire ça.

— Ils n'accèptent pas la magie ? a demandé Daryl.

— Non, a répondu Amber. Ça pourrait nous "privilégier".

— Et apparemment, porter des valises en grimpant les marches forge le caractère, a ajouté Alex.

Après être arrivés au premier étage, nous avons lâché la valise dans un sourire complice, et je me suis retournée vers Daryl.

— Bon courage pour les marches à venir !

— Je t'emmerde, m'a-t-il répondu en étouffant un rire avant de commencer à grimper les marches en discutant avec Alex.

— Prépare ta rétine, m'a dit Amber.

— Comment ça ? ai-je dit en fronçant un sourcil, m'attendant au pire.

Nous nous sommes arrêtées devant la chambre 146. Amber a sorti des clés accrochées à un pompon bleu sur lequel son nom était imprimé en noir.

— Bienvenue chez Dieu, a-t-elle dit en ouvrant la porte.