Compte-rendu d'enquête n°5

Par Ozskcar

Compte-rendu d’enquête n°5 :

Flûte. Les Sœurs sont passées à l’atelier, aujourd’hui. Je me suis caché de sorte qu’elles pensent que j’étais absent. Miss Guille a du les apercevoir car elle est venue à leur rencontre. Elles sont restées longtemps à bavarder, toutes les trois. Je me demande de quoi est-ce qu’elles ont bien pu parler…

Il est hors de question de je quitte la maison. La piste qui me permettra de retrouver Papa est ici, quelque part ; je ne peux pas partir avant de l’avoir trouvée. Il va me falloir accélérer la cadence. Cette nuit, j’ai trié un énorme parquet d’articles et de paperasse diverse. J’aurais aimé renouveler l’opération ce soir, mais je vais arriver à court d’huile ; il faudrait que je passe à la foire, dimanche.

Ce matin, Petit Jean est venu toquer au carreau – il m’a tiré du lit, cet idiot, alors que j’avais pourtant bien besoin de sommeil. Il venait de la part de Monsieur Ferdinand. Je lui ai demandé ce que me voulait le vieux, s’il fallait que je passe aux buttes, mais Petit Jean m’a dit qu’il venait simplement aux nouvelles. Ça m’a étonné alors j’ai insisté. « T’es sûr ? » que je lui ai dit ; « Tu me mentirais pas dans l’idée que M’sieur Ferdinand me secoue les puces ? Si faut que je vienne, je préfère le savoir tout de suite. ». Mais Petit Jean s’est renfrogné. Il a répondu que ça ne viendrait jamais à l’idée du vieux de me tancer comme il le fait avec les autres gamins des buttes, que j’étais son chouchou et que c’était pour ça qu’il l’avait fait descendre jusqu’ici, rue des coquilles, juste par précaution. D’ordinaire, je me serais dit qu’il exagérait – après tout, Petit Jean a toujours tendance à revisiter les faits. C’est sans doute l’irritation de sa voix qui m’a fait hésiter. J’ai répondu, un peu confus, que j’allais bien, qu’il n’y avait pas de quoi s’inquiéter, sauf que ça n’a fait que l’énerver davantage, le gamin : il a plissé le nez en ajoutant, tout bougon, qu’il n’y en avait plus que pour moi, ces derniers temps « Théodore par-ci, Théodore par-là », puis que depuis la boucherie jusqu’à la boutique de Miss Guille, on ne parlait plus que de moi, de combien ça devait être dur, pour le pauvre petit, qu’il fallait être aux petits soins, mais discrètement ! Que le petit Théo n’ait pas l’impression qu’on le prenne en pitié. Sur ces mots, Petit Jean a tourné les talons et est reparti, tout colère. J’ai enfilé mes souliers et suis parti à sa suite.

« Pour vrai ? C’est comme ça qu’ils parlent de moi ? ».

« – Un peu », qu’il m’a répondu. « On peut plus faire trois pas sans se retrouver avec une commission pour sieur Théo ».

Là, forcément, je lui ai dit qu’il exagérait. C’est qu’il commençait à aller un peu loin, et puis j’avais cru voir le petit sourire qu’il a lorsqu’il se met à raconter des bobards.

« – Ben rien qu’en venant chez toi, lorsqu’il a su où je m’en venais, le boulanger de la rue Blanche, il m’a confié deux miches de pain. Pour toi, bien sûr, les miches.

Et où qu’elles sont, dans ce cas ?

Ben je les ai mangées, qu’est-ce que tu t’imagines ? »

J’avais faim. Alors bien sûr, lorsqu’il a avoué son larcin, je m’en suis pris à lui : j’ai attrapé sa mâchoire en lui demandant de me rendre mon bien, il a glissé entre mes doigts en riant et on s’est couru après, dans les coupes gorges, jusqu’à rejoindre la grande artère. Comme on approchait de la caserne, j’ai repensé à la demoiselle Josèphe, à sa lettre, à l’adresse mentionnée. Le soleil serait bientôt au zénith ; midi n’allait pas tarder à sonner, et avec les cloches, le défilé hebdomadaire.

« – Dis voir, tu la reconnaîtrais, toi, la sœur de la duchesse D’Auragny ? »

Petit Jean a opiné, l’air satisfait, et a commencé à se vanter d’être le plus fin connaisseur de toutes les personnalités du quartier. Je craignais qu’il ne veuille rentrer directement, cela dit – c’est qu’il fait pas le fier, devant Monsieur Ferdinand – alors pour être sûr de réussir mon coup, j’ai appuyé sur la corde sensible. « Je parie un bol de soupe de la mère Guille que t’es pas capable de la reconnaître au milieu des chevaliers de la garde », que je lui ai dit. Petit Jean est immédiatement tombé dans le panneau ; il a souri de toutes ses dents, salivant déjà à l’idée de déguster un bon dîner. « Pari accepté », qu’il a répondu en me tirant vers la caserne.

On s’est frayés un chemin à travers les passants et on s’est accrochés aux grilles ; derrière, on pouvait voir plusieurs soldats en train de se préparer pour la parade.

« Là, c’est le colonel Machin-chose. Paraît qu’il est retors comme pas permis ; il arrête pas d’enquiquiner les marchands ambulants qui se posent sur la place des orangers. Et là, c’est le grand-frère de Luc. Tu sais, Luc ! On le voit, parfois, aux buttes. Il se vante toujours d’avoir un soldat dans la famille. C’est un honneur, qu’il dit. Moi je trouve plutôt qu’avec un attirail pareil, ils ont l’air d’avoir un ballais dans le cul, m’enfin. Chacun son truc. Si ça les amuse de se mettre au garde à vous dès qu’un noble de la garde beugle un coup… Ah ! V’là la sœurette. »

J’avais beau m’étirer autant que possible, je voyais pas de qui il parlait. Petit Jean a tendu ma main devant moi, a aligné son œil avec le mien et s’est mis à faire défiler les profils jusqu’à ce que j’aperçoive une demoiselle au chignon tiré, l’air sévère, l’épée contre l’épaule.

« La v’là, ta D’Auragny. Je l’aurais quand, du coup, ma soupe ? »

Je plissai les yeux, essayant de faire le lien avec le croquis de Miss Guille. Il y avait un air, en effet ; quelque chose au niveau des lèvres, du nez, aussi, mais les joues de la demoiselle Josèphe étaient moins rondes et sa stature plus imposante. Les cloches se mirent soudain à sonner ; on fit ouvrir le grand portail et soldats comme chevaliers commencèrent la parade. Au milieu des visages, celui de la demoiselle, concentré, digne. Plein de colère. Ou bien était-ce seulement mon imagination ?

« Qu’est-ce qui me dit qu’c’est elle, d’abord ? »

Vu le torrent d’insultes que je me suis pris, j’ai lâché l’affaire. Petit Jean passera demain pour sa soupe. Ça me fera de la compagnie.

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