Francis

Il y a les chialeux qui ont toujours quelque chose à dire, les bedonnants qui rotent leur sermon sur la vie, les allumés montés sur des frames de chats. Des beuveries, des conversations de faces à claques, un triste paysage. Et puis, au milieu de ce décor désolant, il y a toi Francis, une trêve. Tout près de moi, à quelques mètres sur le quai, nouant le cordage de ta barque. Je te vois, ta grâce me bouleverse. Des yeux doux et sombres, comme deux castors cachés dans leur hutte. Je n’aurais qu’à m’approcher, qu’à prononcer ton nom, mais la vision est si belle, pour rien au monde je ne voudrais la changer. Mon kick secret, ma badluck, ma grosse débarque. Immobile, camouflée derrière une montagne de cochonneries : tas de tôles, de morceaux de styrofoam et de cannettes de bières vides, j’hallucine. Francis, ton tronc d’arbre enraciné sur des jambes fermes qui attirent l’attention. De dos, déchargeant tes trouvailles, tes avant-bras de barbare qui hantent mes rêves éveillés. Je connais ton odeur Francis, j’aime ton odorante masculinité, ta masse de cheveux sombre qui attire ma bouche. Tu ne vois pas, dissimulé au bout du quai, mon cœur qui palpite comme l’aile de libellule. Ma réalisation frémissante, triste beauté; je vis dans le même univers que toi ma bête effacée. Et quand tu t’appliques à la tâche, de toute mes forces je veux graver cette image en mon esprit. Contempler à jamais les mouvements discrets de ta charpente mâle.

Francis, même quand il mouille, ta chaloupe à moteur sillonne les eaux. Un lent va-et-vient : de la péninsule au lac Tourmente, du lac Blanc au rivage. Tu ondules tout autant du quai à l’île; ton ermitage boisé. Sur le lac Tourmente, dénicheur de trésors, tu longes les rives, parce que les vagues houleuses du grand bassin ne pardonnent pas. Accosté sur les bords rocheux, les yeux grands ouverts, ton corps saute de pierres en pierres. Francis, avec patience tu découvres des objets encore utiles: des leurres de toutes les formes pour la pêche, des appâts artificiels facilement revendables, des cuillères métalliques, des filets, des moulinets et parfois un vieux piège de trappeur.

Jamais je n’ai visité ta cabane, mais j’imagine son odeur : musc, hormones faisandées, mijoté de cerf et couverture de laine enfumée. Du rivage, on voit ta demeure, comme une hutte de castor. Branchages entremêlés, monticule surélevé avec sa rampe de balcon en bouleaux. J’envi l’île qui te prend, la terre que tu foules et les feuillages qui t’abritent. Ta chemise de flanelle, ta tasse de thé et ton sofa, jours et nuits, je les envie.

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