La clinique

L’hôpital d’Eïr était un bâtiment austère qui avait plutôt mal vieilli, offrant un visage fantomatique et décati. Pénétrer sur le parking désert mettait mal à l’aise. Les pancartes étaient à peine lisibles, effacées par le soleil. Parfois, elles pendaient, misérables. À l’étage, des vitres avaient explosé lors des tremblements de terre. Tout ici aurait dû être résolument moderne et avant-gardiste, mais le temps en avait fait un site désagréable et malsain. Chris et Marité se dirigeaient d’un bon pas vers la porte d’entrée bloquée en position ouverte par un bidon en métal.

Un homme était assis derrière un comptoir, il se leva pour aller taper sur un antique poste de télé qui ne fonctionnait qu’à moitié. À côté, une pile de VHS penchait du côté où elle allait tomber. Le son très mauvais s’entendait à peine, mais Chris perçut des dialogues en espagnol d’un vieux feuilleton.

— On vient voir le fils de Tony, prévint Marité qui prononçait ce prénom d’un air fier, comme si c’était un laissez-passer de luxe. C’est le petit blond avec de jolies manières.

— Il est remonté il y a cinq minutes, chambre 43.

— J’ai à parler avec le docteur Xavier Daniel, intervint Chris.

— Bah, je vais l’appeler.

— Je vous rejoindrai après, dit-elle pour Marité qui hocha la tête et s’éloigna avec son panier de victuailles.

Chris écouta le standardiste passer un coup de fil avec un accent prononcé. Elle ne se souvenait pas l’avoir jamais rencontré, pourtant il annonça son nom au médecin sans hésiter. Ici, tout le monde connaissait tout le monde, sauf elle.

Elle maltraita distraitement les anses de la glacière qu’elle avait à la main tandis que son vis-à-vis se replongeait dans son téléfilm. Xavier Daniel arriva alors que Chris se penchait par-dessus le comptoir, curieuse de voir l’issue de l’étrange demande en mariage qui se jouait sur l’écran. Sans un mot, elle se redressa et tendit le sac au médecin. Il le récupéra et fut surpris par son poids.

— J’ai fait ce que j’ai pu, j’ai pris tout ce que j’ai trouvé, j’espère que ça vous sera utile.

— Merci, répondit-il avec un sourire ravi. Ce sera forcément utile. Et pour… hum… Ma commande spéciale ?

— Je n’ai pas pu cette fois, je n’avais pas ce qu’il fallait, j’aurais besoin de boites hermétiques et stériles, j’imagine ?

— En effet. Je peux vous en procurer. Je viendrai vous les donner, ainsi que de quoi faire les prélèvements. Merci du fond du cœur pour vos efforts, ça me touche vraiment.

— Et avec Camille ? éluda-t-elle. Comment ça s’est passé ?

— Je vais le garder encore un moment, mais… que diriez-vous d’aller le constater par vous-même ?

— Vous avez raison, j’y vais.

Elle s’esquiva et poussa la porte 43 à l’étage au-dessus. Elle trouva Camille assis dans un lit au dossier relevé, enthousiaste. La voisine n’était pas là, mais elle avait laissé ses affaires. Elle ne tarderait pas à revenir.

— Chris ! s’exclama-t-il. Comment ça s’est passé ?

— Comme d’hab, dit-elle, sur la défensive. C’est plutôt à moi de te demander ça. Tu ne souffres pas trop ? Et la terreur ?

— Super bien ! J’étais au sous-sol pendant l’alerte, avec une vingtaine d’autres personnes, on a fait un tournoi de jeux vidéos, on a pas mal discuté, j’ai fait plein de super rencontres.

— Je croyais t’avoir laissé à l’hôpital, pas en colonie de vacances.

Il fit la moue et pencha la tête sur le côté. Il avait un air absolument adorable et elle ne put s’empêcher de se détendre.

— On reprendra cette conversation à la maison, assura-t-il.

— C’est ça. Et ta blessure, c’est recousu ?

— Euh… non. C’est collé. En fait…

Il se mordilla la lèvre.

— On en a discuté avec le Dr Daniel. Et j’ai eu le choix d’attendre au risque d’empirer la cicatrice ou de le faire maintenant.

— Pourquoi attendre ?

— Parce que Chris pouvait ramener de quoi rendre ça moins pénible, répondit Camille. Alors ? dit-il en la regardant. J’ai gagné mon pari ?

— Tu l’as perdu. Tu vas avoir une grosse cicatrice moche et tu vas souffrir le martyre quand même.

— Je le savais ! sourit-il. Merci ! Ça s’est bien passé ?

— Eh ! Tu m’écoutes ? Je t’ai dit que…

— Tu es mauvaise menteuse, rit-il. Alors ?

— Ça a été une horreur. J’ai dû nager en armure pour atteindre l’entrée, courir comme une folle et j’ai sans doute loupé la plupart des points de repère. Je suis tombée sur un titan qui bloquait la route et j’ai été poursuivie jusqu’à mon objectif. J’ai vu des endroits intéressants sur le chemin, mais je n’ai évidemment pas eu le temps de m’arrêter. J’étais déjà juste.

— La poisse.

— Dans mon malheur, j’ai quand même eu de la chance. J’ai trouvé une glacière étanche sur place pour ramener le butin. J’ai donc pu récupérer encore plus de trucs, j’ai mis ce qui ne craignait rien dans mon sac. Le meilleur, c’est que la Brigade n’est pas venue s’occuper du portail. Quand je suis sortie, il n’y avait déjà plus personne. Et comme j’étais trempée, il y avait mes traces partout dans le couloir de cristal, mais elles étaient intactes. Ça devait être trop loin.

Camille hocha la tête, mais elle lut dans son regard qu’il n’était pas aussi certain qu’elle d’avoir échappé au regard de Strada.

— J’ai hâte de rentrer à la maison, dit-il avec un soupir.

— Je savoure ma tranquillité, rétorqua-t-elle.

— Tu mens tellement mal !

Elle roula des yeux.

— Qu’est-ce que tu veux que je te dise ! Il y a des gens qui viennent, qui disent des trucs, je ne sais pas quoi leur répondre ! Il faut que tu rentres !

Il pouffa. Elle secoua la tête, amusée. Elle pouvait bien lui concéder ça. Il lui avait fait confiance, il avait parié sur elle. Ça gonflait sa poitrine de fierté. Il l’avait bien mérité.

 

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Raza
Posté le 22/02/2025
Ah, belle scène de retrouvailles ! <3
Que dire ici ? Le dialogue de fin va un peu vite, peut être que quelques pauses ou silence lui dnferait gagner en sous entendu? Mais sinon, top, merci pour le partage <3
Et puis je vais aller lire la suite, bien sûr !
Solamades
Posté le 24/02/2025
Salut ! 
C’est noté, je suis d’accord avec toi.
À tout de suite ! 
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