Le lac blanc

Le lac Blanc, coincé entre les montagnes, une force tranquille. Un plan d’eau entouré de forêt compacte qui refoule jusqu’au rivage. Les arbres étouffés par les feuillages se resserrent les uns sur les autres. J’aime cette contrée où les épinettes n’ont d’autres choix que de s’élever pour se sustenter de soleil. La lumière se convoite dans les sous-bois, une denrée rare. En amont, le gigantesque lac tourmente. Bien entendu, avec ma chaloupe, je laisse de côté ce grand bassin. Une mer intérieure aux houles dangereuses. Amarré au village, le « Princess of Wales » n’a jamais connu de baleines. Pour les vacanciers, le grand bateau offre des excursions jusqu’au lac Tourmente. J’aime être sur son pont, ça change de ma barque. Sur le hors bords, je me saoul de la puissance des vents et d’un colosse paysage. L’embarcation navigue à basse vitesse pour s’éloigner du quai, les hautfonds et les rochers obligent à la prudence. Sur le lac Blanc, pas de vitesse pour les embarcations à moteurs, on protège la tranquillité de la péninsule. À certaines heures du jour, l’eau se teinte d’un vert luisant. Les montagnes de conifères énormes ou chétifs s’agitent dans le vent. La surface de l’eau, elle reste calme. À peine de petites vagues ou des remous qui bouillonnent derrière le bateau. Quand la pointe s’éloigne, je regarde le village se miniaturiser. De mes doigts, l’impression de pouvoir le capturer. Je me perds d’imagination sur le pont, mais les plaisanciers qui bardassent me sortent de mes rêveries. L’embouchure agitée du lac Tourmente impressionne toujours. Je me réfugie à l’arrière, m’hypnotise du lac Blanc qui se détache. Son accès semble se refermer, les reliefs verts nous emprisonner. Pauvres petites montagnes boudeuses, repoussées au large, rejetées par la houle. Des vallons garnis de conifères dressant leurs grands corps, manifestant leur présence. Je vois la nature comme les hommes, non pas pour la domestiquer, mais pour accepter plus facilement la bêtise humaine. Au grand bal des esseulés, des arbres qui s’agitent pour se démarquer, pour se faire choisir des yeux. Francis, je me demande si tu souffres de ta solitude, rêves-tu d’être convoité toi aussi. Ton sourire tu l’offres aux gens, mais ta discrétion t’écarte du monde. Comme la forêt, nous voulons tous nous protéger. Autour du lac Blanc, une terre intacte aux allures préhistorique, comme notre âme d’enfant intouché. Pareil à cette nature qui se dissimule au bout de chemins perdus, nous nous cachons, sans envie d’être trouvé.

Le barda se calme, je monte à l’avant du bateau. J’ai envie de sentir le vent sur mon visage. Avec son volume imposant, le lac Tourmente dégage un sentiment d’oppression. Je sais qu’il te fascine. L’embarcation avance à grande vitesse. Pour effrayer les touristes, le conducteur de l’engin s’accote à la rivière Tourmente. Autrefois utilisée pour la drave, une rivière à méandres de 30 km qui fascine encore les hommes. On entend le moteur qui s’emballe. Le jeune capitaine se fascine des grands courants qui aspirent, mais les touristes ne partagent pas la passion de l’effronté.

- Heille le bum, arrête de niaiser pis tasse le bateau de d’là.

- J’paris qu’y en a pas dans ton coin une rivière de même.

- Caron laisse-les tranquille.

- Y vont s’en rappeler pour un boute de leur vacance, y vont avoir de quoi à raconter.

Sur l’eau ou au village, j’ai observé les hommes pas si différents et complexes qu’il n’y parait. Mais une chose nous différencie, la manière dont on se débat avec l’angoisse de vivre. La bêtise ne m’attriste pas, je sais que la brute est une créature effrayée.