Þ. L’été s’étiolait. Il emportait avec lui les soirées aux couchers de soleil interminables. La saison filait ses derniers jours d’abondance et ces jours-ci le ciel gris s’amoncelait près des montagnes. Notre rempart contre les intempéries ne tiendrait plus longtemps.
Ce matin, Šissé est assis à la fenêtre. Entre lui et moi, un volet. Il y avait installé son siège, où il trouvait sûrement un peu de liberté à me regarder travailler toute la journée durant. Je sens ses yeux posés sur mon dos. Ceux d’un animal curieux. Parfois, il me donne l’impression d’être en colonie de vacances. Bien qu’elles soient passées de mode il y a trente ans.
Notre accord tacite de faire silence perdurait. Le risque d’être entendu n’existait plus, mais ça nous convenait ainsi. Ou plutôt, ça m’allait, à moi. Face à lui, les mots étaient trop nombreux pour se transformer en phrases. Alors voilà, je me comportais comme un ours. Il arrivait que nos échanges silencieux se fassent dans l’observation de l’autre et de temps en temps, je décelais des questions dans les siens. Sans avoir de réponse à lui fournir, je gardais les miennes pour moi. On était drôles tous les deux dans cette petite maison… À se regarder sans oser se parler. Même si ça me convient, j’ai quand même des questions, moi aussi.
On dit que ces gens qui viennent du désert vivent dans des Oasis paradisiaques. On raconte qu’ils vivent dans l’abondance et qu’ils sont libres. On dit tellement de choses sans importance sur ces gens du désert… La vraie question, que vais-je faire de lui ?
La journée avançait et les montagnes ne retenaient plus grand-chose des épais nuages noirs qui parsemaient l’horizon. Un front épais marchait sur les terres fertiles et bientôt il éclatera de toute sa colère sur nous. La journée se fit soirée et le ciel ne craquait toujours pas.
Les cultivateurs s’éclipsaient avant la disparition de toute trace de lumière, leur butin du jour dans les bras et moi, je retrouvais l’intérieur de ma maison plongée dans la pénombre.
— Šissé ?
Un rayon de lumière sous un volet branlant, il travaillait à reprendre l’armure de Pro®lice qu’il avait chapardée dans sa fuite. Le dos rond et le visage concentré sur son ouvrage, il reprisait avec dextérité l’espace calciné d’une balle. Sa convalescence n’avait pas aidé à sa bonne santé physique, pourtant c’était un homme bien fait. Bien qu’il ne soit pas bien grand, il était mince et musclé, en forme sinon quelque rondeurs marquant ses hanches.
Le morceleur devait bien vivre dans le désert vu qu’il se paye le luxe d’avoir un peu de graisse…
Même si la vie dans le désert semble impossible, vue d’ici. Comment exister dans un coin du monde où la pluie ne tombe jamais ?
Il leva sur moi un regard surpris. Son visage entier se para d’une joie fulgurante. Nous nous parlions pour la première fois.
— Ta voix est grave, d’aussi près. dit-il.
J’approchais, perplexe, venant prendre place sur une chaise en bout de table. Il poursuivit mes mouvements, traquant les expressions de mon corps dans leurs moindres détails. Je ne savais quoi dire, me sachant observé à nouveau. D’une façon si intime qu’il me fallait détourner les yeux. Je lorgnais par la fenêtre au travers des derniers rayons du soleil.
— Je t’ai emprunté du fil, ajoutait-il en constatant que je comptais garder le silence encore un peu.
Ainsi, il reprit son travail dans le sourire, attentif à ce que j’aurais à lui dire d’autre.
— Je vois ça.
Ce qu’il dit alors me cloua sur place.
— Je ne serai bientôt plus un souci pour toi. J’ai déjà repris mes bottes et mon sac.
Ses mains habiles cessèrent de coudre.
— Me permettras-tu de prélever des provisions dans ta forêt ?
Voilà qu’il me coupait le souffle pour la seconde fois. Cette réaction me surprit tant que j’en vins à me demander pourquoi. Pourquoi le départ de cet inconnu que j’avais tout juste soigné produisait-il ce sentiment d’abandon à l’intérieur ?
Peut-être m’imaginais-je qu’il resterait plus longtemps. Une bouche à nourrir de plus, ce n’est jamais évident, pas dans cette situation et pire encore si la Pro®lice revenait faire un tour dans le coin.
Depuis combien de temps vivais-je seul dans cette ferme ? Dix ans, douze ans ?
— Ce soir, c’est le déluge, dis-je le ton grave. Tu ne pourras pas partir avant qu’il ne soit passé et sortir en forêt par ce temps, c’est du suicide, même pour quelqu’un avec ses deux bras valides.
Ma réponse abrupte fit disparaitre son sourire.
— Je n’y avais pas pensé…
— Tu peux rester le temps que ça passe.
— Dans le noir ? fit-il d’un ton malicieux.
Il a le chic pour lire dans mes pensées celui-là !
— Non… Je bredouille.
— Mais tu ne peux pas travailler à la ferme, pas avec ta blessure.
Le silence s’installe à nouveau. Tranquille comme un habitué des lieux. Je le romps aussitôt.
— Je peux te faire passer pour un ami venu de loin. Les zomb… Les cultivateurs ne se poseront pas de question.
Avec les grandes tempêtes venant, nous serons bloqués à l’intérieur un moment. Et lorsque les cultures pourront reprendre, personne ne s’inquiétera de voir un type en bonne santé ; sûrement un type de la ville, se diront-ils, un semeur bien nourris, un type venue des terres riches en eau et en azote au Nord.
— Ça me laisserait le champ libre pour ma cueillette, reprit-il avec cette idée fixe en tête.
— En fait, j’ai une meilleure idée…
Les tempêtes s’annonçant, je lui ai proposé d’aller à la cave dès ce soir pour en retirer tout ce qui était encore en état. Il accepta avec joie. J’apprendrais avec le temps que Šissé aimait sourire en toute circonstance.
On utilisa les harnais dédiés à la récolte des gros fruits et sur les larges supports accrochés à mon dos, on empila des caisses et des sacs. Mon acolyte prenant d’un seul bras tout ce qu’il pouvait, y compris la lampe torche, car la nuit fondit sur nous comme la tempête.
Le ciel gronda avant de se fendre, il nous tombait dessus par vagues incessantes qui nous trempèrent jusqu’aux os. Il était à la fois un miracle pour la vie et un adversaire terrible à franchir.
La pluie ne cessa pas de toute la nuit, de toute la semaine d'ailleurs. Pourtant, le soleil matinal réussi à traverser l’épaisse couche nuageuse. Il nous caressa à l’instant du dernier retour. La porte de la maison claquée derrière nous, moi et Šissé nous sommes effondrés sur nos sièges. Glacés, trempés, épuisés.
Des caisses et des sacs jonchaient tout le salon, empilés çà et là comme autant d’encombrants jetés au hasard. Rompus et le souffle court, j’entendis au travers du déluge cascadant sur la maison, un rire grave s’élever dans l’air. Un rire plein de folie et de soleil, de la chaleur du désert. Un rire d’oasis qui attira à travers moi une joie nouvelle. Un rire répondant à l’autre, ça éclatait dans toute la maison, comme la pluie incessante, nos rires ne voulaient plus se taire.
Je reviens ici après une petite pause (je lis beaucoup de trucs en même temps sur PA xD)
Je ne sais pas si c'est parce que ma lecture date mais l'univers me paraît un peu flou. Après peut-être est-ce voulu.
Je trouve la relation entre les deux personnages dans ce chapitre très sympa. Le dernier paragraphe sur le sourire est très joli.
Quelques suggestions :
"Bien qu’elles soient passées de mode il y a trente ans." -> depuis trente ans ? "Notre accord tacite de faire silence perdurait." -> notre accord tacite de silence ?
Au plaisir (=
L'univers est flou et c'est voulu, je le dévoile petit à petit au fil de l'écriture.
J’avoue avoir eu beaucoup de mal avec ton premier chapitre. Ça me semblait flou, je n’arrivais pas à bien saisir l’environnement, l’ambiance. C’était trop riche.
Je ne voulais pas lire le second chapitre et puis … j’ai vraiment eu plaisir à continuer, et il me tarde de poursuivre ma lecture.
Je suis vraiment curieuse, j’ai envie d’en savoir plus sur ces deux personnages. L’écriture à deux voix est bien faite. J’espère qu’ils vont rester ensemble.
J’ai encore du mal à donner un âge aux personnes. Benedict est beaucoup plus vieux ?
J'admets que le choix de faire parler Sissé au tout début est risqué. Il a une vision du monde très personnelle.
Je suis ravie que Benedict t'ait réconcilié avec ce récit.
Quant à leur âge, il sera révélé un peu plus tard, patience. C'est un élément du récit, j'aimerais en garder le secret tant qu'il ne sera pas utile d'en parler.
Merci encore et bonne lecture !