L'homme-Fleuve

Notes de l’auteur : Sissé précède toujours son récit d'un Š.
Et Benedict préfère le Þ.

Š. Toute la chaleur de l'été fondait, gouttelettes sur ma peau. La couche était molle et défoncée, si bien que l'été et moi nous nous serrions l'un contre l'eau dans ce creux brûlant.

Le réveil dans la douleur, la peine et le silence. Puis, un regard vert, rivière, posé sur la berge d'une vie d'homme au pays des esclaves. Tout était silence ici. Tout était silence en lui. Sa maison où la poussière dansait sans bruit, ses sourires frissonnants à l'embouchure de son regard, delta complexe de ridules ruisselantes. L'homme était grand, une masse de corps sec et robuste, se mouvant en froissement de lin et de coton.

Quel est ton nom, étranger ? Disaient ses yeux. Tandis que les mots restaient suspendus en amont de son courant intérieur. Coincés là-bas dans le pli instinctif de son silence perpétuel.

L'homme-fleuve ne parlait jamais sinon en signes. Ses mains rugueuses exprimaient quelques mots qu'il consentait à projeter dans le vide. Ils me disaient ainsi que le silence était notre abri. Pour y discerner le bruissement d'un drone, le cliquetis d'un mouchard et même le pas fuselé d'un espion. Quelque part, je le sentais soulagé de ne pas être obligé de parler.

J'aurais voulu lui dire la grandeur de ma reconnaissance. Ma vie. Mon désarroi était tout aussi grand de partager ses coupons de rationnement. Sa vie. De la douleur, de la fièvre seulement paraissait dans mes yeux. Il se procurait d'une source mystérieuse un alcool translucide dont il se servait à désinfecter mes plaies. Un temps, j'ai manqué d'espoir. Des jours, des semaines entières j'étais dévoré par la fièvre. Vint alors une journée de quiétude succédant à l'orage. La douleur se fit moins grande, la fièvre et son armée reculaient, enfin.

Les journées suivantes, je les passais à espionner le semeur et ses ouvriers, par l'interstice d'où me parvenaient quelques rayons de lumières curieuses. Chaque jour, ils s'activaient sans répit, ni pour eux, ni pour la terre. Des lignes interminables de cultures s'étiraient jusqu'au verger. Dans la forêt fruitière, autant d'ouvriers s'activaient. Nous étions au milieu de la saison des récoltes pour de nombreux fruits. Innombrables les brouettes débordantes de brugnons et de pêches qui passèrent sous mes yeux ces jours-là. Le soir venant, jamais une seule d'entre elles ne finissait dans la poche de mon semeur, encore moins de ses cultivateurs. La vision me désolait. Le chant de la révolte sourdait dans mon ventre. Toute la chaleur de l'été d'ici me faisait regretter le désert, là-bas. Mon oasis, mon foyer et le chant des palmiers dont la cime caressait le ciel. Il me tardait chaque jour un peu plus de reprendre ma route.

Ce soir-là, je réussis à m'asseoir à la table de l'homme-fleuve. Un crayon, un reste de papier, j'inclinais les cursives ponctuées d'un : Šissé.

Sur la même page, de cursives coulantes, il écrivit : Benedict.

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Edouard PArle
Posté le 31/08/2021
Hey !
Joli chapitre, court mais bien écrit.
Remarque :
"Notes de l’auteur : Sissé précède toujours son récit d'un Š.
Et Benedict préfère le Þ." C'est une bonne idée d'identifier tes personnages comme ça, bien vu !
Dodonosaure
Posté le 05/09/2021
♥ Merci Edouard !
J'ai piqué l'idée à un auteur célèbre, il a fait de même dans La Horde du Contrevent et Les Furtifs (Alain Damasio). ;)
Edouard PArle
Posté le 05/09/2021
d'acc (= la horde du contrevent est sur ma Pal
Romane
Posté le 13/07/2021
Très joli chapitre ! J'ai trouvé les premières phrases particulièrement poétiques et élégantes ! Tes personnages sont attachants et j'ai hâte d'en apprendre plus sur leur relation !
Dodonosaure
Posté le 15/07/2021
Merci ! Venant de toi, j'ai envie de dire, ça me touche.
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