L'Hôte

Par Rachael
Notes de l’auteur : Un ordinateur comme on en voudrait un chez soi !
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Arthen dut patienter pour vérifier les affirmations de Djéfen. Il était pris à l'auberge tout l'après-midi et la soirée. D'ailleurs, Djéfen préférait éviter que son père traîne dans le coin. Il avait promis à son ami de lui faire signe quand la voie serait libre. Cela se produisit heureusement dès le lendemain : maintenant qu'il entrevoyait un espoir, Arthen ne tenait plus en place.

Djéfen l'emmena dans une partie de la maison qu'il ne lui avait pas fait visiter. Ils pénétrèrent dans une petite salle qui abritait un écran géant, et plusieurs autres de taille plus réduite. Des sièges confortables, en face du grand écran, les accueillirent. Aucune lumière naturelle ne venait éclairer la pièce, plongée dans une pénombre apaisante.

- Cette machine gère tout le fonctionnement de la maison, expliqua Djéfen. Elle joue un peu le même rôle que le patron d'une auberge, en plus immatériel, alors je l'appelle « l'hôte ». Normalement, elle ne parle qu'aux nazgars, c'est pour cela qu'elle n'est pas protégée. Mais j'ai découvert qu'en lui parlant tout haut, si je reste concentré sur mes paroles, elle semble lire dans mon esprit ce que je dis. Et je peux lui demander de passer en mode vocal. Ensuite, tout devient facile...

Arthen siffla.

- Impressionnant ! Tu es sûr que tu es normal ? fit-il en plaisantant à moitié.

L'autre sourit, et lui répondit sur un ton narquois :

- Mouais, désespérément normal ! Mais il m'arrive souvent de le déplorer...

Arthen le regarda sans vraiment comprendre. Comment pouvait-on regretter d'être normal ? Il décida de remettre ces réflexions à plus tard. Ils se trouvaient là pour une raison bien précise :

- Bon, on y va ? lança-t-il, nerveux. J'ai la nette impression qu'on n'a pas le droit d'être là : sinon, tu n'aurais pas attendu que ton père soit occupé ailleurs.

- Ouais, pas faux, opina Djéfen. Tu veux te dégonfler ?

Arthen secoua la tête avec vigueur.

- Ah, non ! Pas maintenant que tu m'as fait miroiter une réponse à mes questions...

Djéfen avait visiblement l'habitude d'interroger l'hôte. Le plus dur fut de le faire réagir. Il ferma les yeux, essaya une première fois sans succès, puis une seconde, et une troisième. Au lieu de s'énerver, il se concentrait, calmait sa respiration, et éliminait les mouvements parasites. À la quatrième tentative, la machine « l'entendit » enfin, et passa en mode vocal sur ses instructions. Comme prévu, tout devint facile. Il suffisait de poser une question, ou de lancer une recherche, et l'ordinateur s'exécutait. Djéfen n'en était pas à son coup d'essai. Il venait de temps en temps, avait-il dit, et interrogeait l'hôte artificiel sur les nazgars. Il avait découvert par hasard récemment que celui-ci avait aussi engrangé dans sa mémoire les bases de données laissées par les Spatiaux, contenant les informations les plus diverses sur eux : leur technologie, leur culture, leurs planètes... Il s'en délectait depuis quelques semaines.

- J'ai vérifié hier, expliqua-t-il. Les Spatiaux ont recensé toute leur population. Une fiche par personne avec quelques données individuelles : lieu de naissance, d'habitation, occupation, caractéristiques physiques et aussi quelques informations médicales.

Arthen secoua la tête, estomaqué par la maîtrise de son ami :

- T'es trop fort, Djéfen !

- Avant de te donner des espoirs, il fallait bien que je regarde si on pouvait arriver à quelque chose !

Djéfen demanda à l'hôte de trouver les individus ressemblants à Arthen dans la base des Spatiaux, et aussi dans la population terrienne connue d'elle (ça ne pouvait pas nuire, avait-il affirmé). Elle comprit la requête assez rapidement, au bout de deux ou trois formulations. Le garçon savait y faire, ce qui impressionna Arthen, qui se sentit totalement surclassé.

Sur la suggestion de l'hôte, Djéfen plaça son ami sous une caméra, et fit pivoter un Arthen pas trop rassuré, pendant que l'engin le filmait. Il lui fit mettre son doigt dans un appareil qui le piqua pour prélever une goutte de son sang, déclenchant ses protestations indignées.

Quelques minutes plus tard, la machine lança les recherches. La voix métallique, sans grâce, leur sortit le premier résultat :

- Dans les données terriennes, zéro correspondance. Attention, données incomplètes, avertit la machine.

Les deux enfants se regardèrent. Ils attendaient la suite :

- Dans la base étrangère, deux cent dix-neuf mille trois cent vingt-cinq correspondances.

- Ouah, c'est énorme ! s'épouvanta Arthen.

- Attend, on va préciser le sexe et l'âge, ça devrait réduire pas mal. Qu'est-ce qu'on prend ?

- Ben, sexe masculin ; âge, entre vingt et quarante ans, non ?

- Merci pour le sexe, Arthen, tu me prends pour un débile ?

Djéfen avait mis les mains sur ses hanches, dans un simulacre d'indignation. Arthen rougit, puis comprit que son ami se moquait de lui.

- Encore gagné ! se réjouit celui-ci. C'est quand même trop facile de te faire rougir...

- Mmf ! grogna Arthen, arrête de te ficher de moi.

- Bon alors, l'âge ? reprit Djéfen, sur un ton professionnel. Entre vingt et quarante, ça me semble trop réducteur. Ça pourrait être une fourchette un peu plus large.

- Eh ! Il y a treize ans et quelques, ma mère avait vingt-quatre ans. Elle n'aurait pas été chercher un vieux.

- Je ne prétends pas y connaître grand-chose, mais mon père a plus de cinquante ans, et je ne le range pas dans les vieux.

- Je ne l'ai pas encore rencontré, ton père, avoua Arthen. Ah, là, là ! Qu'est-ce que j'y connais, moi, à ça ? On prend ce que tu veux.

Ils choisirent, un peu au hasard, l'âge entre dix-huit et cinquante-cinq ans. L'hôte leur renvoya aussitôt le résultat :

- Trente-deux mille huit cent sept correspondances.

- Qu'est-ce qu'on va faire avec ça ? se lamenta Arthen.

- Ne te plains pas, tu sais de combien on est parti ?

Il continua, sans attendre la réponse d'Arthen, lançant à l'intention de la machine

- État initial de la population ?

- Population recensée de deux cent trente-huit milliards six cent cinquante-huit millions d'humains, répartis sur quarante-cinq planètes habitées, plus dix-huit colonies...

- Stop ! intima Djéfen.

Arthen essaya de s'imaginer les milliards d'humains en question. Vainement, car le nombre dépassait sa capacité de visualisation. La seule image qui lui venait était celle de ces fourmilières géantes qu'on trouvait par chez lui, dans les forêts de montagne, mais évidemment, comparer des humains à des fourmis, c'était un peu osé.

Djéfen inconscient du trouble qu'il avait provoqué chez son ami, continuait son raisonnement :

- Tu vois, on n'en a pas tant que ça ; c'est peut-être grâce à ta couleur d'yeux, chez eux aussi, elle semble assez peu répandue. C'est un peu là-dessus que j'avais compté, en fait...

Il en restait quand même bien trop pour trier manuellement. Djéfen fit circuler les photos, à la volée, sans s'arrêter. Presque tous ces hommes possédaient des caractéristiques physiques proches d'Arthen, et montraient des points de similitude avec lui, mais comment décider lesquels étaient pertinents ? L'archive ne disait rien sur le voyage sur terre ou sur ceux qui y avaient participé. Ils vérifièrent qu'elle datait de juste avant le départ de la mission...

Arthen se sentit découragé. Ces étrangers étaient si nombreux. Ces gens, bien que tous différents, lui ressemblaient tous un peu, d'une manière ou d'une autre. Cela avait un côté effrayant...

- Laisse tomber, Djéfen, intima-t-il. On n'y arrivera pas comme ça, et puis je trouve ça sinistre, tous ces types qui me ressemblent...

Djéfen haussa les épaules :

- On débute à peine. Tu ne vas pas déjà te décourager. Allez, c'est maintenant qu'il faut faire travailler nos neurones ! Pour commencer, ça peut être un soldat de la mission.

La machine fit apparaître les hommes appartenant à l'armée. Il y en avait un demi-millier. Djéfen rangea leur dossier pour plus tard. Il sélectionna ensuite les ingénieurs, puis les autres scientifiques, en expliquant à Arthen qu'une mission en terre étrangère comportait fatalement ces catégories, ainsi que des diplomates. Une fois tous ces individus retenus, cela faisait quand même environ deux mille personnes.

Le temps avait filé, Djéfen s'aperçut qu'on approchait de la fin d'après-midi. Il ordonna à l'hôte de garder en mémoire leurs recherches et de ne les transmettre à personne. Pas sûr que la dernière requête soit valide, mais on ne risquait rien à essayer.

Arthen partit avec des sentiments mitigés : découragement, excitation, angoisse. Comment s'assurer qu'une personne, même ressemblante, soit son père ? Il n'avait aucun indice susceptible de le mettre sur la piste... Et Djéfen ? Djéfen s'amusait comme un fou à piloter la machine nazgare, ce qui ne manquait pas d'inquiéter Arthen. Et ce n'était pas une éventuelle découverte par le père de Djéfen qui l'alarmait : si le nazgar s'apercevait de leur petit manège ?

 

****

 

Ce fut ce soir-là qu'Arthen rencontra le père de son ami. Tenzem était grand, charpenté, les cheveux blonds et les yeux d'un bleu limpide. Il dépassait les cinquante ans, avait dit Djéfen, mais aux yeux de l'enfant, il n'en paraissait pas plus que Siohlann, qui en avait trente-sept. Imposant, il dégageait un air d'autorité tranquille qui plut tout de suite au garçon.

Lui et ses hommes étaient de retour d'une patrouille qui les avaient entraînés à cheval dans une région proche, encore sauvage, pendant plusieurs jours. Ses patrouilleurs, une bande de jeunes gens à l'air peu commode, venaient d'investir l'auberge, contents de retrouver la ville et ses attraits. Ils chahutaient et parlaient fort, conscients de leur aura auprès des habitants de la ville. Un simple haussement de sourcil de leur chef les ramena à un niveau sonore et à un comportement plus raisonnables.

Tenzem salua Oanell et Siohlann, qui l'accueillirent comme un vieil ami. Bien sûr, ils se connaissaient ; Arthen le savait, mais il se sentit exclu, tenu à l'écart d'un passé auquel il était étranger.

Arthen fut présenté à Tenzem ; sous son regard intelligent et pénétrant, il se sentit dévisagé, scruté, comme si le père de son ami allait voir au fond de lui ce qu'il voulait cacher. Et il en avait à dissimuler, ce soir ! Il écouta la conversation sans y participer, ses mains moites enfoncées au fond de ses poches, en essayant de cacher son malaise. À un moment, en le regardant, Tenzem eut un drôle de sourire, si fugitif qu'Arthen se demanda s'il n'avait pas rêvé. Le garçon sentit un frisson le long de son dos. Le père de son ami avait-il tout deviné, ou s'amusait-il simplement de la timidité du garçon ?

 

 

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Olga la Banshee
Posté le 24/01/2018
 
Super !
parfois on aimerait juste que les caractères de Djefen et d'Arthen soient un peu plus marqués, ou que Djefen aie une caractéristique forte...
Sinon les personnages sont bien introduits les uns après les autres, et ça aide à bien les connaître... 
Rachael
Posté le 24/01/2018
J'ai essayé de faire en sorte que leur personnalité s'affirme au fil des pages, au cours de leurs aventures. Alors j'espère que ça deviendra plus clair pour toi par la suite.
Merci de ton passage ! 
Sierra
Posté le 06/10/2014
Coucou Rachael !
J'avais bien l'impression qu'une éternité s'était écoulée depuis ma lecture des premiers chapitres d'Arthen... Après un calcul rapide, il s'avère que je suis bien la pire des lectrices au monde : j'ai commencé ton histoire il y a quatre mois, et je n'ai jamais trouvé le temps de poursuivre ! Avec toutes mes excuses, me voilà à nouveau, prête à réparer cette grossière erreur :)
Je viens de m'enfiler trois chapitres, et comme ce que j'avais à en dire n'était pas franchement ultra développé à chaque fois, je me permet de te commenter seulement à partir de ce chapitre.
L'évolution d'Arthen dans Arcande se fait sans heurts, bien qu'un mystère plane toujours sur ses origines. Tu as su rendre de façon assez habile la retenue des habitants quant aux questions que pose souvent le petit garçon. Pour ce qui est de nous tenir en haleine et d'attiser toujours plus notre curiosité, c'est carrément ça ! À la place d'Arthen, j'aurais craqué depuis longtemps si j'avais dû me contenter des réponses vagues qu'il reçoit !
Ce dernier chapitre était vraiment sympa, j'aime beaucoup l'idée d'une intelligence artificielle que seuls les nazgars peuvent contrôler. Ce qui reste surprenant, c'est que Djéfen parvienne à s'en servir également, comme si ça ne nécessitait finalement qu'un tout petit peu de concentration. Ton explication se tient sur ce point, mais je trouve ça quand même assez hors du commun, surtout pour un petit garçon "normal".
Une petite remarque concernant le passage où les deux garçons cherchent à établir des correspondances avec des hommes venus de partout. Tu dis que la machine prélève une goutte de sang à Arthen. Elle est donc censée établir une correspondance en se basant sur un ADN et une ressemblance physique, on est d'accord ? Arthen a une réaction, sur la fin du passage, qui témoigne de son impuissance parce qu'il trouve que c'est relativement vague de se baser sur une simple ressemblance physique pour retrouver son père. Or la goutte de sang reste quand même un matériau solide pour retrouver quelqu'un, non ? C'est simplement une omission de ta part, ou bien les recherches ADN ne sont pas à envisager comme celles que nous connaissons sur notre bonne vieille terre ? J'espère que je ne t'ai pas perdue là-dessus :)
Promis, j'essaie de lire la suite un peu plus rapidement maintenant que j'ai repris. D'autant plus que ton histoire est passionnante et que j'ai hâte d'en savoir un peu plus à tous les niveaux !
À bientôt :) 
Rachael
Posté le 06/10/2014
Hello Sierra !
Ca fait plaisir de te revoir par ici ! Ne t'inquiète pas pour cette interruption, ça m'aura permis de finir de tout poster, comme ça tu n'auras pas de coupure si tu as le courage d'aller au bout...
D'ailleurs ça m'intéresse bien l'avis de quelqu'un qui lit plusieurs chapitres à la fois, plutôt qu'un par semaine, parce que ca fait un rythme de lecture plus proche de ce que ferait un lecteur "classique".
Donc ne t'inquiète pas si tu ne mets qu'un commentaire de temps en temps sur plusieurs chapitres ou quand tu as un truc particulier à dire, ca me va tout à fait :)
Pour cette histoire de goutte de sang, dans mon esprit, la base des spatiaux de contenait que quelques caractéristiques à visée médicale, et non un séquençage ADN complet (sinon, ils trouveraient tout de suite, non ?). Mais c'est vrai que je ne l'explique pas vraiment, et qu'on peut se poser des questions. Je vais voir si je peux arranger ça pour que ce soit plus clair sans trop compliquer le truc non plus.
Merci pour ton passage ;) 
 
 
EryBlack
Posté le 11/10/2013
Je me suis remise à lire les aventures d'Arthen, mais la fin vient si vite ! Bon, au moins, j'ai rattrapé mon retard :P
L'histoire est définitivement entraînante. J'aime beaucoup le personnage de Djéfen, je l'imagine comme une graine de savant à lunettes ^^ Et puis cette piste, à propos du père d'Arthen... Si il faisait vraiment partie des Spatiaux, c'est trop la classe *-*
Je trouve que tout est vraiment bien ordonné dans cette histoire, et ce qui me fait vraiment plaisir c'est qu'il y a tellement de pistes à exploiter qu'on peut espérer que ce soit un récit très long ! Entre les hommes oiseaux, le nazgar, les Spatiaux, la famille d'Arthen... Et moi qui aime les bouquins à envergure encyclopédique, ça me remplit vraiment de joie.
Voilà, je suis désolée de ne pas prendre le temps de commenter chaque chapitre, mais c'est une concession nécessaire si je veux rattraper mes lectures en retard ! Merci beaucoup pour cette histoire Rachael, et à très bientôt :D 
Rachael
Posté le 11/10/2013
Oui, en effet, j'ai prévu sept tomes de six cent pages (zut, ça me rappelle quelqu'un, ça !)... 
Meuh, non ! Je n'en sais encore rien... (d'ailleurs, c'est pas en glandant tous les soirs sur le forum que ça va avancer...)
En fait, j'ai déjà écrit pas mal de choses sur ce qui se passe avant (pendant la période des spatiaux), donc l'univers est assez construit. Pour la suite, ce ne sont pas les idées qui manquent, mais comme tu le dis, il y a plein de pistes, alors je suis en phase de réflexion prolongée (zzzz.... zzzzz....) (ronflements !!), tout en corrigeant/reprenant ce que je poste sur PA. 
Merci d'être passée, ça me fait plaisir que tu suives l'histoire ! Pas besoin de commenter à chaque fois, un ptit commentaire de temps en temps, ça me montre que tu es toujours là !
PS: oui, Djéfen est un peu "graine de savant" mais il n'a pas de lunettes !! 'o-o'
 
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