** Chapitre 4 : Nim - 1942 **
La nuit était tombée, et l’appartement de Nim était plongé dans l’obscurité. Ils vivaient désormais dans un monde de chuchotements et d’ombres. Une lampe allumée trop tard, un bruit trop fort, un mouvement brusque derrière une fenêtre pouvaient suffire à faire sursauter.
Nim resta assise sur son lit, le cahier ouvert devant elle, mais sans y écrire davantage. L’encre ne suffisait plus à apaiser son angoisse. Le silence qui régnait dans l’appartement n’était interrompu que par le tic-tac régulier de l’horloge du salon. Chaque seconde paraissait plus lourde, comme si elle la rapprochait d’une issue inévitable.
Elle sursauta lorsqu’elle entendit un bruit sourd venant du couloir. Un grincement, un pas ? Son cœur s’emballa. Elle tendit l’oreille, retenant son souffle. Peut-être son père rentrait-il tard une fois de plus. Ou bien…
Elle se leva, pieds nus sur le parquet froid, et ouvrit prudemment la porte de sa chambre. Dans la pénombre du couloir, elle aperçut la silhouette de sa mère, figée devant la porte d’entrée. Son regard était rivé sur l’interstice sous la porte. Nim s’approcha lentement, et vit ce qui l’avait pétrifiée : une feuille de papier, glissée sous le battant.
Sa mère hésita avant de la ramasser. Ses mains tremblaient lorsqu’elle la déplia. Le silence devint étouffant.
« Qu’est-ce que c’est ? » demanda Nim d’une voix à peine audible.
Sa mère ne répondit pas immédiatement. Elle fixa le papier, puis son visage se décomposa. Enfin, elle leva les yeux vers sa fille.
« C’est un avis. » Sa voix se brisa. « Ils l’ont convoqué. À la caserne Dossin, dans deux semaines. »
Le cœur de Nim s’arrêta un instant. Son frère. Ils avaient convoqué son frère. Les mots résonnèrent dans sa tête comme un coup de tonnerre. Elle connaissait ce nom. La caserne Dossin. Un endroit dont les rumeurs n’étaient jamais bonnes. Ceux qui y entraient ne revenaient généralement pas.
Elle tourna immédiatement les yeux vers son frère, qui était resté jusque-là silencieux, dans l'ombre de la cuisine. Il était légèrement adossé contre la table à manger, le regard fixe, l’air impassible. Elle chercha à lire quelque chose dans ses traits, mais il n’y avait que de l’indifférence.
« Tu vas y aller ? » demanda-t-elle, la gorge serrée.
Il la regarda, un long instant, sans répondre. Puis il se dirigea vers leur mère pour prendre la lettre de ses mains tremblantes et plia la feuille soigneusement, comme s’il ne voulait rien laisser paraître.
« Je n’ai pas le choix. »
Nim sentit une boule de terreur lui monter à la gorge. Non. Il ne pouvait pas. Pas lui.
« Mais… pourquoi ? » balbutia-t-elle, à moitié désespérée. « Pourquoi toi ? »
« Parce qu’ils veulent des hommes capables de travailler. Ils n’ont pas pris de femmes. Pas encore. » Il tourna les talons et se dirigea vers la porte. « Il faut que j’y aille. »
Sa mère se rapprocha de lui, les yeux pleins de larmes, mais il l'évita, un air d’étrange résignation sur le visage.
« Tu reviendras, n’est-ce pas ? » Sa voix tremblait.
Il ne répondit pas tout de suite. Il prit son manteau, l’enfila, et se dirigea vers la porte d’entrée.
Nim restait là, figée, incapable de bouger. L’angoisse serrait sa poitrine comme une étreinte de fer. Elle n’arrivait pas à accepter cette idée, à comprendre que son frère, son propre frère, puisse disparaître ainsi, sans pouvoir l’empêcher.
Elle se tourna vers sa mère. Les deux femmes se regardèrent un instant, avant que sa mère ne se jette dans ses bras, brisée par la douleur. Nim la serra contre elle, les yeux emplis de larmes. La guerre les avait brisés, les avait séparés. Et maintenant, elle venait prendre son frère. Elle n’avait même pas de mots pour décrire l'horreur de cette réalité.
Deux semaines.
Le souffle de Nim se coucha lourdement sur la pièce, comme si la nuit elle-même était pleine de menaces.
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*Cher Bouton d’or,*
Je ne sais pas si tu recevras cette lettre, mais je dois te la transmettre, comme un dernier recours. Je suis effrayée, plus que jamais. Ce soir, nous avons reçu une convocation pour mon frère, qui doit se rendre à la caserne Dossin. Je ne sais pas si je dois espérer qu’il n’ira pas ou accepter que tout est devenu inévitable. Je crois qu’il est déjà trop tard pour nous. On nous enlève tout, petit à petit, comme si la guerre ne savait que détruire.
Je ne peux pas m’empêcher de penser à toi. Où es-tu, dans ce chaos, dans cette nuit qui engloutit tout ? Moi, je suis ici, figée, dans l’attente du pire. Si tu savais comme je voudrais que cette lettre ne soit qu’un souvenir d’un autre temps. Mais tout est différent désormais.
Si jamais ces mots te parviennent, sache que je tiens encore à toi, et que, même si tout semble se briser autour de moi, l’espoir d’une vie ailleurs me permet de tenir un peu plus longtemps.
Je t’embrasse, cher Bouton d’or. Que ta lumière trouve un chemin, même dans les ténèbres.
*N.B*