Comme promis, les chuchotements se sont arrêtés. Ils se contentent de me toiser. De loin.
Tant mieux.
Je me demande si c’est parce que je porte des manches longues tout le temps, maintenant. À cause des bains, mon papier est abîmé. Là où mes articulations étaient de jolis origamis blafards, de grandes taches roses pulsent. J’aimerais pouvoir remonter mon pull, mais sitôt les traces visibles, je les gratte. Je gratte et gratte encore jusqu’à me déchirer.
Les crèmes n’y changent rien. J’ai même le sentiment que le bref soulagement qu’elles m’apportent empire les choses. Une fois passé le soupir de bien-être, mes quatre-vingt-dix milligrammes sont à vif. Là où les minuscules boutons ont explosé en des bourgeons de sang, des psoques se glissent et me dévorent.
Je peux les sentir. Là, juste sous la première couche de fibres, un frisson désagréable. Leurs mandibules broutent, tandis que leurs pattes labourent pour permettre à leurs corps gonflés et translucides de continuer à me conquérir. Je les imagine comme ces enfants qui gobent leurs céréales du matin avec du lait dans les publicités. Miam, miam, miam.
— Où est-ce que tu en es de ton de…
Le souffle de ma professeure se fige et dans sa bouche les mots deviennent des morceaux de rien. Je n’ose pas lever les yeux. L’embryon avorté de sa phrase convoque les murmures. Un poids coule dans mon ventre. De la honte, je crois. Et ça grouille dans mon papier.
— Les enfants, continuez vos activités.
Sa voix tremble – juste assez pour que je l’entende, mais pas assez pour que les autres décèlent le trémolo. Elle s’accroupit à côté de mon siège. C’est ridicule, elle pourrait prendre la chaise à côté : elle est vide. Elle l’a toujours été.
— Je vais appeler l’infirmière, d’accord ?
Elle chuchote comme si nous partagions un grand et terrible secret. Peut-être est-ce le cas ? Je ne réponds rien et regarde mon cahier. Sur les petites lignes bleues, il y a du rouge. Mon rouge. Et c’est joli. C’est brut et sincère. C’est moi.
Quelques minutes plus tard, on toque et l’infirmière apparaît dans l’encadrement de la porte. Sa silhouette porte le poids des dizaines et dizaines de classes d’enfants qu’elle a vu défiler. Elle a ce sourire léger, qui réchauffe comme une tasse de lait chaud – avec une pointe de miel ? Avec une pointe de miel.
Les murmures lui disent bonjour. Moi aussi – même si je ne sais pas pourquoi il faut dire ça. La maîtresse me fixe et me fait un signe. Je me lève et avance, tête baissée, après avoir vérifié que mes manches sont bien descendues. Ils vont bruisser ; devenir un nid de frelons. Leurs mots vont me piquer. Si mes bourgeons sont visibles, le venin pourrait rentrer dans mes fibres. Je n’ai pas envie qu’ils m’empoisonnent.
Leurs attaques peuvent tuer plus grands que moi, plus fort que moi, plus important que moi.