La représentation avait été un triomphe. Des acclamations couraient encore dans les coursives et faisaient frissonner le rideau rouge. La plupart des comédiens se trouvaient encore sur la scène, à l'avant du rideau pour saluer leurs admirateurs.
Zoé avait juste fait un salut rapide à son frère avant de filer vers les coulisses. Il fallait absolument qu'elle se débarrasse de ces chaussures à talons atroces qui lui laminaient les orteils. Des amis la croisèrent dans les coursives, encore rouges et suants, mais surtout souriants, triomphants, fiers au-delà de la raison.
- Bravo, Zoé ! T'as été grandiose ce soir ! lança le metteur en scène.
- Merci !
- T'as assuré ma vieille ! T'as tout défoncé, lui garantit Sandrine, encore du maquillage plein le visage.
- Toi aussi, ma grande.
Elle arriva aux loges. Personne ne les avaient encore investies. Un désordre décourageant recouvrait le sol, les chaises et la table à maquillage et Zoé dut en soulever une partie pour retrouver ses chaussures, qu'elle enfila avec ravissement. En se relevant, son nez passa à la hauteur de la tablette de maquillage. Entre les traces de poudre et les cotons abandonnés reposait une brosse à cheveux d'enfant, blanche avec des fleurs multicolores. Zoé se redressa. Iris avait oublié sa brosse.
Zoé savait qu'elle était déjà partie et qu'elle ne reviendrait pas. A peine les saluts terminés, elle avait filé par la sortie des artistes et disparu dans les rues. Elle ne jouerait plus jamais. Elle avait annoncé depuis quelques semaines déjà qu'elle allait partir. Elle avait obtenu ce délai à grand-peine, pour pouvoir jouer ce soir. Cette pièce avait été son salut, à bien des égards. Et maintenant, tout était terminé.
On parlerait longtemps de son interprétation de Catherine Soderini. Iris aurait pu porter n'importe quel rôle avec cette maestria qui lui était coutumière. Zoé examina la brosse abandonnée par son amie. Des cheveux blonds y restaient emmêlés. La comédienne revit la coiffure d'Iris sur la scène. Elle y avait mis tant de soin. Elle devait encore arborer son chignon serré entouré de volutes ondulées qui ajoutait tant de grâce à son personnage. Il ne resterait d'elle que cette brosse et son souvenir... Zoé saisit l'objet. Iris, Iris... Grande comédienne à jamais évanouie. Juste le temps d'une apparition sur scène, et déjà elle replongeait dans les ombres de son passé, de sa famille. Elle ne sortirait plus de cette obscurité gluante dont le théâtre l'avait un temps préservée. Son parfum restait encore sur la brosse.
Iris ne jouerait plus. Peut-être avait-elle mis autant de grandeur dans son rôle justement parce qu'elle savait qu'elle ne reviendrait pas, que c'était là sa seule chance de briller, de laisser un souvenir lumineux. Son dernier cri de révolte, en alexandrins.
Voilà qui est fait, songea Zoé.
Désormais je jouerai pour toi, Iris. Je jouerai comme toi, comme si chaque jour était le dernier...