Le QG du quartier 25 était installé dans un ancien entrepôt réaménagé. De grandes cartes de la ville couvraient les murs, marquées de symboles et d’annotations codées. Un long bureau en métal trônait au centre de la pièce, encombré de rapports et de documents divers.
Albéric était assis derrière ce bureau, écoutant Nathanaël, qui se tenait debout devant une grande carte du quartier 25 accrochée au mur.
“J’ai passé une bonne partie de la nuit à faire l’inventaire des structures les plus endommagées, commença Nathanaël en pointant du doigt plusieurs zones sur la carte.
Il y a trois problèmes urgents qu’on doit régler immédiatement.”
Albéric croisa les bras et hocha la tête.
“Je t’écoute.”
Nathanaël posa son index sur un point précis au sud du quartier.
“Premier problème : ici, près du marché, il y a une grille d’évacuation des eaux manquante. Actuellement, c’est juste un trou béant dans le sol. Si un enfant tombe dedans, il risque de se blesser gravement, voire pire.”
Albéric acquiesça.
“C’est simple à réparer. Il suffit de trouver une grille adaptée et de la fixer.
-Exactement. J’ai déjà repéré du métal récupérable dans le garage, je peux fabriquer une grille sur mesure et l’installer moi-même.”
Albéric esquissa un sourire.
“Je savais que t’allais dire ça. Ensuite ?”
Nathanaël fit glisser son doigt vers un autre point de la carte, près d’une allée entre deux immeubles.
“Deuxième problème, beaucoup plus dangereux : une passerelle menace de s’effondrer entre ces deux immeubles. Elle relie les étages supérieurs et sert d’accès rapide entre les bâtiments. Si elle lâche, elle pourrait non seulement blesser quelqu’un, mais carrément entraîner une partie des structures avec elle.”
Albéric fronça les sourcils.
“C’est aussi critique que ça ?
-Oui. Je suis monté dessus ce matin. Le métal est rongé par la rouille et le béton est fissuré. Il suffirait d’un orage ou d’une surcharge pour qu’elle cède.
-Comment tu comptes t’y prendre ?
-Idéalement, il faudrait tout refaire… mais on n’a pas le temps ni les ressources pour ça. Je propose un renfort temporaire : souder des plaques métalliques sous la structure pour éviter qu’elle ne s’effondre d’un coup. Ça nous laissera quelques semaines pour réfléchir à une vraie reconstruction.”
Albéric hocha la tête, pensif.
“C’est faisable. Je vais voir si on peut réquisitionner des matériaux solides. Et le troisième problème ?”
Nathanaël prit une inspiration et tapota plusieurs endroits dispersés sur la carte.
“Les murs porteurs. Beaucoup d’immeubles ont leurs fondations fissurées. J’en ai recensé au moins cinq en mauvais état. Si on ne fait rien, certains risquent de s’effondrer d’ici quelques mois, voire semaines.”
Albéric soupira.
“Ça, c’est du lourd. T’as une solution ?
-On pourrait injecter du mortier dans les fissures pour renforcer les structures. Mais le vrai problème, c’est que la cause de ces fissures est inconnue. L’humidité ? La pollution ? Des mouvements de terrain ? Si on ne trouve pas pourquoi ça se fissure, ce sera du rafistolage temporaire. ”
Albéric tapota du doigt sur la carte, réfléchissant.
“Bon… Priorité à la grille et à la passerelle. Je vais voir avec mes contacts si on peut avoir des matériaux pour les fondations. En attendant, commence ce que tu peux avec ce que t’as sous la main.”
Il posa son regard acéré sur Nathanaël.
“Tu es au courant que t’es ici depuis deux jours et que tu bosses déjà comme un chef de chantier, hein ?”
Nathanaël sourit légèrement.
“Faut bien que quelqu’un le fasse.”
Albéric éclata de rire et hocha la tête.
“Tu as raison, va me fabriquer cette grille, et essaie de pas t’écrouler de fatigue avant la fin de la semaine.”
Nathanaël acquiesça et roula la carte avant de sortir. La première grande rénovation du quartier 25 était lancée. La nuit était tombée sur le quartier 25, mais Nathanaël et son équipe improvisée n’avaient pas ralenti. Après la grille et la passerelle, il était temps de s’attaquer au problème le plus critique : les fondations fissurées des immeubles.
Les habitants s’étaient rassemblés spontanément pour aider, maintenant convaincus que Nathanaël n’était pas qu’un opportuniste de plus. Certains creusaient autour des bases des bâtiments, d’autres mélangeaient du mortier, pendant que Nathanaël inspectait chaque fissure avec minutie. Albéric était venu observer les travaux, les bras croisés, un sourire satisfait aux lèvres.
“Tu as un talent pour mobiliser les gens, Hibou.
-Je crois surtout que personne ici n’a envie d’être écrasé dans son sommeil.”
Répliqua Nathanaël en évaluant une fissure particulièrement large sur un mur porteur.
Albéric haussa un sourcil.
“À ce point-là ?
-Oui… et c’est justement ça qui m’inquiète.”
Théo, qui aidait à porter des sacs de mortier, s’arrêta en l’entendant.
“Qu’est-ce que tu veux dire ?”
Nathanaël se redressa et tapota la fissure du bout des doigts.
“C’est pas juste une usure naturelle. Ce genre de dégât arrive quand quelque chose sous la structure la fait bouger.”
Albéric réfléchit un instant.
“Tu veux dire… un effondrement sous-terrain ?”
Nathanaël hocha la tête.
“ Ou des galeries qui s’affaissent. Il faudrait vérifier si des tunnels passent sous ces immeubles.”
Théo grimaça.
“Super. On est passés du bricoleur au spéléologue.
-Si le problème vient d’en dessous… on doit vérifier les archives.
Nathanaël haussa un sourcil.
-Les archives ?”
Albéric eut un sourire en coin.
“On a des cartes de la ville que peu de gens ont encore en tête. Viens avec moi.”
Les archives des Héritiers n’étaient pas accessibles à n’importe qui. Albéric guida Nathanaël à travers les couloirs sombres du QG du quartier 25, jusqu’à une petite pièce poussiéreuse remplie d’étagères croulant sous le poids de documents jaunis. Une grande carte de Val-Carcosa, bien plus ancienne que celles disponibles dans les bureaux officiels, était fixée au mur. Albéric s’en approcha et posa son doigt sur le quartier 25.
“Si un effondrement souterrain est en cause, alors il y a forcément des galeries sous la ville.”
Nathanaël scruta attentivement la carte, suivant les tracés délavés à l’encre.
Puis, il les vit.
“Là, il pointa plusieurs lignes en pointillés courant sous leur secteur. Ce sont des tunnels souterrains.”
Théo, qui avait suivi sans dire un mot jusque-là, se pencha sur la carte.
“Et pourquoi ils sont pas marqués sur les cartes récentes ?
-Soit ils ont été abandonnés… soit quelqu’un a voulu les effacer des registres.”
répondit Albéric, son ton plus grave. Nathanaël échangea un regard avec lui.
“Alors allons voir ça de plus près.”
Le groupe se retrouva devant une trappe rouillée, dissimulée derrière un vieux bâtiment en ruines. Albéric se baissa et posa la main sur le métal corrodé.
“Personne n’est descendu ici depuis longtemps…”
Avec un effort, il l’ouvrit, révélant une échelle métallique plongeant dans l’obscurité. Nathanaël prit une profonde inspiration et ajusta son masque respiratoire avant de descendre le premier.
L’air changea immédiatement.
L’odeur âcre et humide du sous-sol fut vite remplacée par une sensation bien plus inquiétante, Le smog était ici. Pas sous forme de brume diffuse, mais comme une nappe stagnante, épaisse et oppressante, rampant sur le sol et les parois. Théo grimaça en ajustant son propre masque.
“C’est pas normal… Pourquoi le smog s’accumule en dessous alors qu’il est censé rester à l’air libre ?”
Nathanaël passa une main sur la pierre poreuse d’un mur.
“Parce qu’il est piégé.”
Albéric éclaira l’intérieur du tunnel, révélant des fissures béantes dans les parois.
“Et il grignote la structure, affaiblissant les fondations au passage.”
Nathanaël fronça les sourcils en observant les pulsations étranges du smog dans l’air.
Puis il soupira.
“Je crois que j’ai une solution.”
Albéric et Théo tournèrent la tête vers lui.
“Je travaille sur un purificateur d’air, un système qui pourrait absorber le smog et le neutraliser. Il posa une main sur le mur, comme s’il visualisait déjà l’installation. Mais pour l’instant, ce ne sont que des prototypes sur papier.”
Albéric arqua un sourcil.
“Tu penses que ça pourrait fonctionner à grande échelle ?”
“Si j’arrive à stabiliser le processus, oui. Mais il faudrait un système puissant, capable de purifier en continu. Une simple ventilation ne suffira pas.”
Théo haussa un sourcil.
“Alors t’attends quoi pour le fabriquer ?”
Nathanaël esquissa un sourire fatigué.
“Des ressources. Du temps. Et surtout… un endroit où l’installer.”
Albéric réfléchit un instant, regardant les tunnels autour d’eux.
“Si on veut sauver le quartier, on n’aura pas d’autre choix que de le tester. Trouve un moyen de le construire, je te fournirai ce dont tu as besoin.”
Nathanaël hocha la tête, son esprit déjà en é
bullition. Il avait trouvé un problème à résoudre… et ça, c’était tout ce dont il avait besoin.