En douceur, Anastasia fit glisser sa main sur la chevelure bouclée du jeune homme qui, allongé sur son lit, laissait sa tête reposer contre ses cuisses, une expression d’extase plaquée sur le visage. De son autre main, elle enfournait sa longue pipe entre ses lèvres pour en recracher la fumée en des volutes couleurs sable. Elle sentait la cible de ses cajoleries serrer ses cuisses avec avarice, frottant parfois son visage contre ses collants.
« Tu vas les déchirer. Enlève-les, plutôt.
— Alors là, je ne vais pas me faire prier, madame ! »
Il leva son visage et entreprit déjà de les lui retirer d’un sourire de plénitude. D’un mouvement de poignet et de tête en levant les yeux au ciel, Anastasia soupira.
« Plume, bien entendu que venir ici pour le seul plaisir de te voir me suffit, mais j’aimerais tout de même avouer que j’ai aujourd’hui un prétexte.
— Ça tombe bien, plus je te serai utile, plus tu seras susceptible de me le rendre avec tes lèvres, dooooonc, fais-toi plaisir. »
Et sur ces mots, il colla sa face contre les cuisses mises à nu d’Anastasia pour les embrasser et simplement profiter de leur contact. Cette dernière se reprit en caresse à son égard.
« J’ai beaucoup de soutiens à mes côtés, mais il me faudrait trouver un moyen d’en rallier plus, bien plus. Tu dois avoir des noms, ou du moins des informations quant à savoir qui seraient les cibles les plus indiquées, n’est-ce pas ?
— Ouah, sacrée question, et tu vas avoir du mal, qui plus est. Parce que bon, la plupart, tu pourras pas les convaincre comme ça que t’es un bon parti à suivre…
— Il faudrait donc un acte pour les pousser à se tenir derrière moi ? inféra-t-elle. Fais-moi ta liste, que je m’adapte.
— À tes ordres, à tes ordres… Bon bah je te conseille Meili Naïtt, qui a la mainmise sur l’acheminement des ressources jusqu’à la capitale depuis quelques années. Elle débute encore, donc elle devrait pas être trop difficile à influencer. Bon, elle sera remplacée vite fait bien fait, si tu te la mets à ta botte, mais ! tu auras une alliée calée sur le sujet qui pourra mettre des bâtons dans les roues des collègues. Si t’es discrète et qu’on la soupçonne pas, c’est encore mieux. Du coup voilà, je dirais que c’est la plus importante. Après, Reed Fonge s’occupe de la section recherche des labos, donc pour aider ta petite Rose, ça peut servir aussi. Heum… Ariette Malachite gère la section des mineurs de la grotte aux échos, réfléchit-il. Quirrel Nadia et le quartier rouge, ça peut servir, et Alaya Par’Chemin est la cartographe de Stèlebrune. Ah et puis, forcément, Arian Morteau le pape de l’Église Numéthienne. Heronn de Corail pour les Terres Inespérées, Mélodie pour celles de l’est, et les trois jumelles pour le Bord Noir, et puis enfin, le gosse de la montagne – le Petit Prince ? – devrait pas être trop dur à convaincre.
— Contente-toi de l’Alvéole de fer. Je sais que je ne suis pas la plus au fait de la gestion de Stèlebrune, mais à me citer des noms pareils, tu me sous-estimes un peu. De toute manière, on verra plus tard, pour les grandes routes à traverser. C’est notre petite ruche, qui m’intéresse, pour le moment.
— Bien, bien, bien. Meili, Reed, Ariette, Arian, Quirrel, Alaya. Tu peux terminer sur Horace qui gère la prison de Stèlebrune, et Trevor, chef des Chevaliers framboise.
— La réputation d’Horace ne me rassure pas quant à mes chances de réussite. Trevor, loin de le faire plus.
— Voilà pourquoi je m’étais arrêté avant, protesta-t-il en frottant son visage contre ses cuisses. Sinon, y a bien les fabricants de miel, mais, j’veux dire, ce sont des sans-corps, enfin un, donc…
— Je garde une piécette sur lui, malgré tout. Quitte à ce qu’un pion ne serve pas, autant le mettre dans les brouillons. »
Plume pivota sur lui-même pour avoir les yeux tournés vers le plafond, ou plus précisément vers le visage de la femme. « Et sinon, plutôt que d’essayer de lancer une partie d’échec grandeur nature, tu ne veux pas simplement discuter avec la Lanterne ?
— Un sans-corps ? Un dirigeant ? » Les mots avaient été prononcés avec un dégoût ostensible, tirant un rire ironique de la bouche du jeune homme.
« Un sans-corps qui a rallié le territoire du Nord à lui seul. Et juste avec des mots. Beaucoup de mots. De tous les dirigeants, c’est pas chez le Lumineux, la traqueuse, Mange-Nuage ou Œil-de-Soleil que tu vas trouver aussi motivé à gagner par la paix. Tu devrais récompenser son verbe, non ? »
Anastasia plissa les yeux avant de secouer la tête. Plume s’essaya à un haussement d’épaule, un « J’aurais essayé, au moins », affiché sur son visage désinvolte.
L’amas de fumée qui se dégagea d’Anastasia après une bouffée de sa pipe attira l’attention de Plume qui fit virevolter une main contre le nuage sablé. Au contact de l’air, il prit la forme d’un oiseau qui battit des ailes quelques secondes avant de redevenir nuage. Il eut néanmoins amplement le temps de quitter le lit à baldaquin de la femme pour venir fureter non loin des meubles qui ornaient la chambre avant de disparaître.
« Tu t’es améliorée…
— Disons qu’à fumer tous les jours, je n’ai que ça à faire, m’exercer. »
Il leva les yeux en l’air, ramenant à lui sa main.
« Ana, c’est bien de préférer viser les têtes pensantes filaires plutôt que les dirigeants sans-corps, hein, mais tu sais qu’aucun d’entre eux ne te suivra s’ils ne sont pas certains que tu n’es pas en train de faire n’importe quoi… Pour l’instant, on ne dirait pas que tu fasses autre chose. Ta réputation te précède, je dois l’avouer.
— J’entends bien. Je peux très bien me débrouiller toute seule pour enclencher l’élément qui viendra les convaincre. Que ce soit pour obtenir ne serait-ce que cette Meili, ou bien tous les autres de ta liste, une fois l’engrenage lancée, ma cause sera plus prégnante à leur esprit. »
Plume croisa les bras et tordit sa moue en un scepticisme ostensible. Puisqu’il était pétri de questions qu’il ne posait pas, Anastasia se contenta de faire couler sur lui un regard mutin en crachant un nuage de fumée vers son visage. Comme elle plissa les yeux en inclinant la tête sur le côté d’un air qui voulait se faire séducteur, Plume finit par tendre sa main jusqu’à sa poitrine pour la presser sans qu’elle ne le rabrouât pour le geste.
« Tu comptes faire quoi, donc ? L’engrenage dont tu parles depuis tout à l’heure, et ton envie d’alliés soudaine, là. J’ai l’impression que tu vas faire un grand bond dans tes projets. Quitte à déclarer la guerre à Mange-Nuage et à la traqueuse, j’ose espérer que tu sais ce que tu fais.
— Nul doute. Ta sœur est venue à la capitale, il y a peu.
— Rendre visite à son copain bouclé, inféra Plume. Ouais ?
— Et ils ont fait un tour à l’atelier de Rose, où la milice les as pris sur le fait. Naturellement, le traitement d’Ambre a été des plus courtois, là où ta sœur a eu le droit à quelques disgracieux présents.
— On est des Corail », ironisa Plume, comme si cela justifiait bien tout. Il y alla alors de ses deux mains pour tâter un peu ce qu’Anastasia avait à lui offrir, fermant les yeux quelques secondes pour profiter du seul contact de ce qu’il sentait de l’autre côté de ses doigts.
« Oui, des Corail. Et cela m’a agacé de le constater. J’ai pris contact avec quelques gens de mon entourage. J’ai décidé que les choses allaient changer pour de bon. J’en ai assez de parler dans le vent constamment. » Elle marqua une pause le temps d’une bouffée de pipe, et d’un sourire grandissant. « Si tu savais comme j’ai bien choisi mon moment.
— Ah oui ? T’as fait une découverte ? Méli est revenue pas mal cabossée de ses vacances avec Ambre, justement. Je crois qu’il s’est passé quelque chose, non ?
— Tu vois juste, mais je ne préfère pas t’en parler, au risque de te mettre dans une situation délicate. Mais c’est toujours pour toi – pour les Corail ! – que je fais ça, alors sois sans crainte ; fais-moi confiance, comme toujours. Enfin, les choses vont changer, et tu n’auras plus à supporter la bêtise des habitants de Stèlebrune.
— Si ça me concerne, vaudrait pas mieux que j’le sache ?
— Non, hors de question. Aussitôt que tu possèdes un secret, tu fais partie des bouches à faire parler. Comme si je voulais que ça te retombe dessus.
— Comme si ! Parles-en maintenant ou je trouverai de toute façon un moyen de te le faire crier, minauda-t-il.
— Tu m’estimes d’une telle faiblesse…
— Et plutôt à raison ! »
Il lâcha ses seins, seulement pour mieux les récupérer une fois redressé sur le lit. Poussant Anastasia en arrière, il l’embrassa après l’avoir fait basculer et ne mit pas longtemps à la dévêtir. La victime de son échauffement devina bien qu’il faisait moins cela pour la faire parler que pour enfin libérer tout ce que devait contenir son entrejambe d’avoir trop patienté.
Ce ne fut pas pour autant qu’il manquât à lui soutirer ses objectifs entre quelques hoquets de joie.